jeudi 3 septembre 2009

Cloués au milieu

Je ne peux pas toujours saisir la richesse cachée de la poésie de Christian Bobin. Mais, j'ai été frappé par certains rapprochements. Par exemple, lorsqu'il nous met en présence de deux visages : celui du nouveau-né, "pas encore tout à fait dans le monde", et celui d'une vieille femme, "qui n'y est plus complètement". L'un commence, ignorant de ce qui l'attend. Tandis que la vieille femme, le visage buriné par la vie, sait bien des choses que le petit ne sait pas. Cependant, elle aussi est dans une ignorance : celle de la réalité bien mystérieuse qui l'attend. Mais elle y croit, et l'attend fermement.

Puis, l'auteur commente : "Devant la perfection de ces deux présences, je ne comprenais plus pourquoi cette société veut à tout prix que nous restions indéfiniment jeunes, éloignés de ces deux lumières de la naissance et du grand âge, cloués au milieu".

Nous pouvons bien nous demander, nous aussi, pourquoi s'obstiner à vouloir rester indéfiniment jeunes ? La réponse est assez facile : nous sommes faits pour une jeunesse éternelle. Rien de moins ! Cela est inscrit en notre nature. Mais, en fait, ce n'est pas ce que notre nature nous donne en cette vie qui, au cours des ans, nous conduit inexorablement vers le vieillissement.

La question est plus profonde qu'elle n'en a l'air. Pourquoi nous acharner à vouloir rester jeunes, "cloués au milieu", entre enfance et vieillesse ? Pourquoi, une fois rendu à l'apogée de la vie, chercher à résister au courant du fleuve qui nous entraîne tranquillement et imperturbablement vers la fin ? Bien sûr, nos résistances sont bien peu efficaces pour le freiner. C'est la société, paraît-il, qui veut que nous restions indéfiniment jeunes. Mais la société, c'est moi et les autres.

Remarquons une réflexion intéressante de l'auteur, quand il dit : "éloignés de ces deux lumières de la naissance et du grand âge". Tout le monde reconnaît et admire la lumière du nouveau né, son innocence, son regard qui ne sait pas mentir. Lumière qui est déjà un reflet de la définitive lumière à laquelle l'enfant est appelé. Il y aspire déjà, inconsciemment, avant de la rencontrer au terme de sa course dans le temps. Dans vingt, cinquante, cent ans ... Qui sait ?

Le grand âge a aussi sa lumière. La vieillesse acceptée et vécue comme une attente de la vie qui ne s'éteint pas. Vécue aussi comme une action de grâce pour les années passées dans un mélange de peine et de bonheur.

Finalement, c'est l'entre deux dans lequel la "société veut à tout prix que nous restions, éloignés de ces deux lumières, cloués au milieu", qui ne va plus. Pourquoi vouloir à tout prix s'y fixer, et rester indéfiniment jeunes ? Ce n'est pas ce que la vie nous donne puisque, bon gré, mal gré, nous avons à suivre le cours du temps, sans coup de frein, pour prendre enfin la seule porte qui nous libère : la mort physique. Voilà le remède. L'adjectif "physique" n'est pas de trop. Car c'est bien physiquement, biologiquement, que l'on meurt. Drôle de remède ! Car tous les autres remèdes que nous offre la médecine, visent bien le contraire : vivre le plus longtemps et le mieux possible. Et qui les refuse ?

Alors pourquoi vouloir rester indéfiniment entre les deux lumières ? Dans une jeunesse qui n'est pas la vraie ? La vraie ne passe pas; c'est la jeunesse éternelle pour laquelle nous sommes créés. La foi, me semble-t-il, est le moyen spirituel qui nous aide à dépasser la pénombre de l'entre deux.