mercredi 8 juillet 2009

Bien voir

"On ne peut bien voir qu'à condition de ne pas chercher son intérêt dans ce qu'on voit" (Christian Bobin)

Il y a comme deux regards en moi. Avec quel oeil je regarde ? Celui désintéressé qui ne cherche qu'à voir la vérité ? Ou bien, celui du "moi" qui cherche toujours son intérêt ? Le premier regard est objectif; le second, non .

Bien sûr, mon propos est toujours de "bien voir", mais je me sais encore habité par cet indésirable "moi", appelé aussi "intrus". (Cf. sur ce blogue au 5 avril 09). Je sais que dans mon évolution normale, l'intrus est appelé à disparaître. Mais, en attendant, il est encore là. Il cherchera inévitablement son intérêt. Comment alors bien voir tout en me sachant taré par lui ? Heureusement qu' avec un peu de perspicacité, sa présence est assez facile à déceler.

Il est entré dans ma personne je ne sais comment, et s'est développé comme un parasite. D'où vient-il ? Et comment le déloger ? Selon la méthode bouddhiste, je ne chercherai pas d'abord à connaître son origine, mais plutôt quoi faire avec lui. Peu importe d'où vient la flèche qui me blesse, je dois d'abord la retirer de ma blessure !

Une stratégie de combat contre l'ennemi pourrait bien être celle-ci : dans la mesure du possible, placer la partie de mon être que j'estime la plus éclairée, c'est-à-dire ma personne, (et non mon personnage) au dessus de ce redoutable "moi". Le regarder et l'accepter comme l'inévitable hôte indésirable avec qui j'aurai à composer. Je n'y peut rien, il est là ! Donc dialoguer avec lui, écouter en souriant ses fausses vérités, sans m'en étonner.

Sa présence peut d'ailleurs m'être agréable. Flatteur, sa première réaction sera sans doute: Eh, tu es bon ! Tu es capable de te tenir au-dessus de ton moi. Formidable ! tu n'es vraiment pas comme les autres ! (1) Là, c'est lui qui parle en se déguisant; il a un masque ! Je ne dois pas avoir l'air de le déranger, de le brusquer. Il risque de se venger ! Plutôt le prendre par la douceur. Je vais lui parler comme à un compagnon de route valable, mais appelé à disparaître définitivement du décor ... Bien sûr, il n'aime pas ça ! Il va se cacher pour mieux réapparaître. A ce niveau, je tourne en rond, incapable d'aller plus loin. Comment donc m'en sortir ?

Selon mon oeil (le bon, j'espère !), une chose est certaine : seul un appui solide, autre que le moi, peut m'élever au-dessus de l'ennemi. Dieu peut être ce seul point d'appui. Il est d'ailleurs là pour ça et je ne peux me passer de son aide. Le "moi" est orgueil. Je ne peux pas le lui reprocher; c'est sa nature ! S'il renonce à l'orgueil, il meurt sur le coup, et j'en suis débarrassé. Les orientaux appelle cela la libération. Mais d'abord, pour qu'il soit débusqué, je dois le reconnaître, et accepter qu'il se débatte "comme un diable dans un bénitier"

À ce sujet, que nous dit le Christ ? : "Qui veut sauver sa vie (son petit moi) la perdra, mais celui qui perd sa vie, à cause de moi la trouvera (la vraie vie)" (2) Nous retrouvons cette vérité, dite sous une autre forme, dans les écrits de sagesse orientale. Mais la source est la même. "Il faut que l'amour finisse par tuer le moi. Sinon, c'est le moi qui finit par tuer l'amour" (3) C'est de la bonne psychologie !

Le même auteur (3) nous dit comment seul l'amour peut tuer le moi : "L'orgueilleux humilié ne devient pas humble; son orgueil devient sournois et venimeux. Ce qui nourrit en moi l'humilité, ce n'est pas l'échec, mais la réussite; et la réussite dans le domaine le plus haut et le plus gratuit : celui de l'amour. Mon moi s'efface quand mon âme se dilate, envahie par un bonheur immérité et inespéré"

Les orientaux diront plutôt, au lieu de "s'efface" : le moi s'érode ! Il disparaît en s'amenuisant. Un moi qui disparaît dans la société que nous formons, peut paraître une victoire bien minime. Mais c'est un gain important, un pas appréciable de la communauté humaine "vers la Vérité". Progrès qui permet une meilleure entente entre nous, et sans doute une paix plus stable. Monsieur Barack Obama semble bien avoir pris cette direction. Bravo !

(1) Se rappeler le Pharisien et le Publicain : Luc 18, 9-14; (2) Matthieu 16, 25; (3) G. Thibon.