mercredi 20 mai 2009

Sous le visible

"Telle est, semble-t-il, la condition humaine dans cette existence ... où le visible symbolise une valeur cachée, où ce qui est manifeste nous renvoie toujours à un secret inépuisable. "

Ces paroles de Maurice Zundel sont riches de sens. Puisque le secret est inépuisable, je vais encore en parler. Dans cette citation, deux choses s'opposent:
1. Le "visible et le manifeste". Ce qui touche nos sens, ce à quoi nous sommes habitués et dont on ne conteste pas l'existence.
2. L'invisible, la "valeur cachée et le secret inépuisable". C'est l'essentiel, mais souvent nié, parce inaccessible à notre regard superficiel.

Qu'est-ce que cet invisible ? C'est le message caché dans la beauté de la nature, dans les sons ou le langage du silence, dans tout ce qui nous atteint à travers nos sens éveillés. Message souvent atténué parce que nous pensons que le solide, le réel, est dans ce qui est vu, palpé, appréhendé par les sens. Il est vrai que, sans eux, rien ne peut nous atteindre. Nous mettons alors le symbole (les choses visibles) au dessus du signifié (la valeur cachée). Inversion qui nous coupe de la source. Comme si la fleur offerte était supérieure au sentiment qu'elle exprime. Nous préférons les apparences fugitives des choses de ce monde sensible à la réalité stable et éternelle dont elles recoivent leur être. Et nous en subissons les conséquences: l'avoir passe avant l'être; la multiplicité avant l'unité; le raisonnement du discours avant l'intuition.

Pourquoi est-il si difficile de voir la réalité cachée sous le symbole ? J'ai trouvé, chez Gustave Thibon, un début de réponse : "Les choses du temps, dit-il, se présentent d'abord comme une illusion et une épreuve: l'illusion dissipée, l'épreuve surmontée, elles nous révèlent leur côté éternel, leur sens divin ".

Quelque chose a dû se détraquer dans l'ordre primitif des choses. Le Créateur n'a sans doute pas voulu que les êtres humains, pourtant créés à sa ressemblance, soient ainsi faits. Le début du livre inspiré de la Genèse nous dit d'une manière poètique, mais bien affirmée: oui, il y a eu un désordre, un mystérieux lien d'origine brisé avec le Dieu créateur. Et l'homme s'acharne à reconstruire cet ordre. Il faut qu'il accepte, non pas de le conquérir, mais de le recevoir à nouveau gratuitement, tel que cela lui avait été donné avant ce qu'on a appelé, dans les récits sacrés, la chute (le péché originel). Nous devons perdre l'esprit de conquête pour retrouver l'accueil gratuit. C'est ainsi que l'interprètent, je pense, les exégètes qui scrutent ces récits imagés de la Genèse.

Mais tout n'est pas perdu, loin de là ! De cette "chute", il y a une "rédemption", un retour du règne primitif, ou encore une 'nouvelle naissance" que l'évangile nous fait connaître. Il ne doit plus y avoir de coupure entre le visible et l'insible, entre l'éternité et le temps: "Tout ce qui n'est pas de l'éternité retrouvée est du temps perdu" dit encore le même auteur.

Les récits des évangiles et le message de Saint Paul nous le disent : il y a un chemin qui nous retourne à l'Eden perdu. Il y a un monde nouveau déjà en germe, où nous n'aurons plus besoin des symboles, ni de nos raisonnements logiques. L'unité retrouvée dans l'Être, nous fera perdre le sens de la multiplicité qui divise.