mercredi 27 mai 2009

Sous le visible (suite)

Dans ma cour, un pommier en fleurs; un peu plus loin, des lilas commencent à fleurir et à répandre leur parfum. Tout cela, proche de moi, m'invite à discerner la transparence de ces signes .

Si le monde sensible n'est qu'apparence, disent certains sages, il ne faut pas prendre le mot au sens d'illusion ou, pire encore, de mensonge; mais plutôt au sens de révélation d'un mystère caché plus vrai que les signes qui frappent nos sens. L'apparence des choses visibles n'est pas leur dernier mot: elle nous révèle l' invisible. Un regard superficiel ne sait pas l'atteindre.

"Quand la vision intérieure s'ajoute à la vue charnelle, nous voyons la réalité invisible en même temps que l'apparence sensible ... C'est le secret des poètes et des mystiques: l'unité du monde sensible et du monde spirituel; non pas la négation, mais la rédemption de la matière et du temps". (1)

C'est probablement dans ce sens que la sagesse orientale comprend le monde des apparences, trop souvent opposé à l'invisible, alors qu'il y conduit. Il est vrai que, selon la qualité du regard, le monde sensible pourrait bien cacher l'invisible au lieu de le révéler; l'art de la contemplation est cependant accessible à tous. Un regard contemplatif, au lieu de séparer, réunit l'extérieur et l'intérieur. Voir seulement l'extérieur crée des limites, comme tout ce qui est dans l'espace. On peut alors devenir prisonnier de ces limites. Et même chercher à s'élargir pour empiéter sur le terrain des autres.

Le sentiment d'unité entre intérieur et extérieur facilite la communion à l'Être. Ce qui fait perdre l'impression de délaissement, d'isolement ou d'abandon.

"Le sentiment d'abandon se traduit, chez Sartre, par l'effroi de l'homme devant un inconnu indifférent ou hostile, et chez le chrétien par la foi et l'offrande à un inconnu bienveillant. Je suis abandonné par un Dieu qui n'existe pas, dit l'existentialiste. A quoi le chrétien répond : je m'abandonne à un Dieu qui se cache" (1)

Nous voyons ici l'ambivalence du mot abandon; d'un côté : délaissement; de l'autre : confiance dans la réalité cachée. Ainsi Dieu se cache dans notre intérieur. Mais il y a des différences dans la manière dont il s'y trouve. Saint Jean de la Croix l'expliquera en parlant de la présence divine en nous (il dira dans "les âmes") : "Dans les unes, il est seul; et dans les autres, non. Dans celles-ci, il habite avec plaisir; dans celles-là, il reste à contrecoeur. Ici, il est dans sa maison, il commande et dirige tout; là, il est comme un étranger dans la maison d'autrui; on ne le laisse ni commander, ni faire quoique ce soit".

Il s'agit là d'un langage analogique; le seul que l'on puisse comprendre. Mais nous savons qu'il faut dépasser le langage imagé pour saisir ce que signifie l'abandon au Dieu caché dans la contemplation. Contemplation qui ne prend pas toujours la forme d'une douce et suave présence. Comme auprès d'un pommier et de lilas en fleurs ! C'est aussi en se retirant, en laissant dans l'aridité du sentiment d'absence que Dieu nous creuse et nous fait progresser. Mais la douceur de la contemplation sensible nous aidera souvent à affronter l'aridité de l'abandon qui peut suivre

(1) Gustave Thibon