mercredi 11 juin 2008

Tout puissant ou humble ?

Dieu agit dans le monde à travers nous. "Nous sommes les mains de Dieu" dit-on. Ainsi, nous pensons que s'il y a des choses qui marchent mal sur notre planète, c'est parce que nos mains n'ont pas fait ce qu'il y avait à faire. Ce n'est peut-être pas faux, mais je ne crois pas que l'action divine soit si étroitement liée à nos réponses et limitée par elles. Comme si Dieu ne pouvait pas intervenir dans l'histoire sans nos mains. Est-ce qu'on ne projette pas sur Dieu nos façons d'agir ? Tout comme une entreprise commerciale se trouve bloquée, incapable de production, devant la grève de ses employés.

Oui, Dieu agit à travers nous. C'est incontestable. Si notre oreille intérieure est attentive, elle percevra une orientation à prendre ou une action à faire. Bien des souffrances peuvent ainsi être abolies par nos mains. Mais la puissance divine est-elle paralysée s'il n'y a pas de réponse de notre côté ? Dieu abandonnera-t-il celui que j'abandonne ? J'espère que non ! "Si ton père et ta mère t'abandonne, moi je ne t'abandonnerai pas" nous dit l'Écriture. Ce qui ne justifie en rien mon indifférence à la souffrance des autres: "Ce serait un outrage à Dieu et au prochain, que laisser l'affamé avoir faim, sous prétexte que Dieu est proche de sa misère" (1). Mais nos réponses peuvent être lentes et nos chemins tortueux. Nos réponses sont le moyen concret d'exprimer notre amour tant envers Dieu qu'envers les humains; les deux ne faisant qu'un.

Aujourd'hui nous n'aimons pas trop parler d'un Dieu "Tout Puissant". Car en effet, cette Puissance semble mise en échec par la présence scandaleuse du mal. Pourquoi le Tout Puissant n'intervient pas ? Est-ce vraiment notre liberté qui limite ou retient son intervention ? Nous sommes là mis en présence d'une épreuve pour la raison qui essaie de comprendre. On ne peut pas nier cette puissance divine, ni la réduire, car il ne serait plus Dieu. Mais nous pouvons essayer de la comprendre. L'action de nos mains ne résout pas le problème, puisqu'il y a aussi un mal qui, apparemment ne dépend pas de notre liberté, comme les catastrophes naturelles, si nombreuses et meurtrières ces temps-ci, en Birmanie, en Chine et ailleurs. Un désordre originel, bien mystérieux, un mauvais choix de l'homme en l'Eden, en est-il la cause ? C'est bien ce que nous laisse entendre le début du livre de la Genèse, dans le mythe du serpent tentateur. Nous savons, d'autre part, que "la création tout entière gémit dans les souffrances de l'enfantement" nous dit Saint Paul. Qui a mis la création dans cette situation ? Pourquoi le monde est-il soumis au "Prince de ce monde", comme le dit l'Écriture ? On ne voit pas de réponses rationnelles à ces difficiles questions.

Au lieu de qualifier Dieu de "Tout Puissant", nous préférons parler de son "humilité".
Qualification plutôt insolite par rapport aux siècles passés. où l'on aimait faire ressortir sa force, sa domination et ses victoires. C'est bien avec cette mentalité que les juifs du temps de Jésus, voyaient l'intervention temporelle du Messie. Pourtant, "si Dieu est Amour, il ne peut être qu'humble" écrivait le Père François Varillon. Dans cette humilité il faut voir, bien sûr, la puissance de l'Amour divin, non pas réduite, mais agissant sans écraser, respectant les créatures libres et intelligentes que nous sommes, sans exiger une obéissance de type militaire ou d'un despote. Dieu est "lent à la colère" et pédagogue. L'humilité divine s'est contemplée dans la "faiblesse" du Christ crucifié; c'est sa manière d'exprimer sa puissance, tellement différente de la nôtre. Cela va-t-il résourdre le mystère de la souffrance dans le monde ? Non, mais peut-être mieux nous disposer à ouvrir une autre porte de compréhension que celle de notre tête. La foi nous rend capables "d'accepter l'inacceptable". Car "quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien" écrit Saint Paul aux Romains.

Des saints de différentes traditions nous l'ont montré; par exemple un Dietrich Bonhoeffer (1) ou encore une jeune juive mue par l'Esprit comme Etty Hyllesum (2), morte héroïquement dans les camps de concentration. Et bien d'autres. L'humilité de Dieu n'enlève rien à sa toute puissance. Mais c'est humblement qu'il est tout puissant.

(1) Dietrich Bonhoeffer: Pasteur et théologien allemand mort dans les camps pour sa résistance au nazisme. Cf. ses lettres de prison: "Résistance et soumission" (Posthume, 1951)
(2) Etty Hyllesum. Cf. son journal (1941-1943) "Une vie bouleversée" au Seuil, 1988