jeudi 7 février 2008

Est-ce que je m'aime ?

Tant de gens en doutent aujourd'hui. La vie vaut-elle la peine d'être vécue dans la haine de soi et des autres ? Sur une terre qu'on détériore et qui laisse présager un avenir pessimiste ? S'aimer soi-même, qu'est-ce que cela signifie ? En général, on ne sait pas trop quoi répondre. Des psychologues disent que la plupart des gens ne s'aiment pas. Ont-ils raison ? Que doivent donc faire ceux qui pensent ne pas s'aimer ?

Dans le christianisme on trouve un commandement: celui d'aimer Dieu et d'aimer les autres comme soi-même (1). Si je sais bien compter, ça en ferait donc trois à aimer: Dieu, les autres et moi ! Et j'oserais ajouter, Gaia, la terre mère ! (2) Mais oublions ces calculs. L'amour est un . Tout se passe dans cette unité indivisible.

L'amour de soi semble bien important pour aimer tous les autres. En tant qu'êtres humains nous avons tous, en commun, quelque chose d'essentiel. C'est surtout cet être essentiel commun qui mérite d'être aimé. Grâce à lui, d'une certaine façon, je me retrouve dans les autres. Et vice versa.

Si je me déteste (entendons-nous, si je déteste mon être essentiel, et non tel ou tel défaut), je n'ai plus de raisons d'aimer les autres qui, eux aussi, deviennent aussi détestables que moi. Ils sont construit de la même argile et par le même potier. Une certaine ascèse chrétienne a beaucoup insisté sur l'amour de Dieu et des autres, mais a un peu atténué l'amour de soi. Il fallait combattre l'égoisme, la recherche de son propre bien au profit de celui des autres. La spiritualité moderne s'ajuste davantage à la réalité de la nature humaine, un peu mieux connue.

La question "faut-il s'aimer" est ambigue. Mieux vaudrait dire: Comment bien s'aimer ? Car en fait, ou bien on s'aime trop, c'est-à-dire on s'aime mal (ce qui revient à dire qu'on ne s'aime pas). Ou bien on se déteste (c'est-à-dire on voudrait être autrement). Ce qui n'est pas un mal, si je refuse en moi ce qui est détestable: mes dépendances, les haines qui empoisonnent ma vie, etc.

Tout comme "le Beau, le Vrai, le Bien", il n'y a pas d'excès dans l'amour. Seulement des déviations. Je ne mange pas n'importe quoi, j'accepte une discipline alimentaire parce que je m'aime. Je fais partie de la terre mère et je m'aime en la respectant. Ainsi, ne dois-je pas aussi, par amour de moi (et de Dieu et des autres, en conséquence de l'unité de l'amour) me soumettre à une discipline spirituelle ? Pour cela, il me faudra être éveillé à ce que je suis, à ce que je fais. En être conscient.

En vue de favoriser cet éveil, il existe, parmi d'autres, une discipline éprouvée dans l'Inde traditionnelle, et qu'on appelle le yoga de l'action (Karma yoga), répandu en Europe depuis longtemps déjà. Sans vouloir en faire la promotion, il contient des éléments intéressants pour notre sujet.
( http://www.yogasatyananda-france.net/pages/fr/karma-yoga.php )

La sagesse orientale a beaucoup à nous apprendre. Je souhaite qu'elle se garde vivante dans l'Inde moderne où elle s'est développée et conservée. Elle est tout à fait compatible avec le progrès économique, social et écologique. Et devrait même le favoriser. Un élément intéressant du Karma yoga consiste à se voir agir, un peu comme on voit les autres agir. Je m'explique: quand j'accomplis une action, je ne dois pas être totalement absorbé par cette action, ce qui me ferait perdre la conscience de moi-même. Je dois prendre une distance par rapport à mon action, et me regarder en train d'agir. Il ne s'agit pas de "nombrilisme", mais je deviens ainsi le témoin conscient de mes action, en accord avec une dimension infinie, qui me dépasse et dont je dépends: la "conscience cosmique". Elle nous élargit infiniment et nous sort de notre cercle étroit. Dans le christianisme, ce n'est pas tout le monde qui aime cette expression. Elle paraît un peu ésotérique et impersonnelle. Je la trouve très belle, et rien ne m'empêche de la personnaliser. C'est d'ailleurs le rôle de l'Esprit "qui remplit tout" d'élever à cette dimension universelle.

Revenons au rôle fondamental du "témoin" qui me permet de me voir en train d'agir. Cela suppose un petit exercice, inséré dans nos activités ordinaires de le vie quotidienne. L'effort demandé peut paraître difficile dans les premières tentatives. Il s'agit en fait d'une division de l'attention : d'une part, l'attention se porte sur ce que je fais; d'autre part, sur moi agissant. Avec un peu d'entraînement, cela se fait bien. Je suis donc ainsi le témoin de mes actes, non plus absorbé par eux. Je deviens plus éveillé, conscient de ce que je fais et, en même temps, capable de surveiller les manifestations mentales qui accompagnent mon action et mes relation. (3)

Nous retrouvons souvent cette idée, en spiritualité, que nous sommes endormis. L'évangile lui-même nous demande de veiller, de ne pas dormir (4). Ordinairement, cela signifie: Se tenir prêt, être vigilant face à l'adversaire, ou encore "attendre le retour du Seigneur". Mais cette attitude du témoin n'est pas exclue. Elle peut transformer la vision que j'ai de moi-même. Je ne peux plus ne pas m'aimer.

Nous méritons d'être aimé non seulement par les autres, mais aussi par nous-mêmes; tout simplement à cause de notre propre dignité d'être humain, doué d'intelligence et de liberté, créé à l'image de Dieu. Si je ne prends pas conscience de ma dignité: qui suis-je ? d'où je viens ? à quoi suis-je appelé ? comment puis-je aimer vraiment ceux et celles qui, indépendamment de leurs fonctions ou de leurs vertus, ont la même dignité que moi ? Le Père du Ciel ne fait-il pas "briller son soleil sur les bons et sur les méchants" (5).

Cet article se retrouve sur Natura Vox: http://www.naturavox.fr/article.php3?id_article=3194

(1) Évangile de Matthieu 22, 37-39
(2) Éprimé implicitement dans l'épitre aux Romains 8, 19 et 22
(3) P.D. Ouspenski, dans "Fragment d'un enseignement inconnu", appelle cette pratique (à la suite de Gurdjieff) le "rappel de soi". Paris, 1950
(4) Évangile de Matthieu 25, 13; 26, 41; Évangile de Luc 21, 34-36. etc.
(5) Évangile de Matthieu 5, 45



1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

S'aimer soi-même, c'est «vouloir que l'on «soit». C'est vouloir être. C'est vouloir être Dieu en somme. Et l'homme a le pouvoir de se faire Dieu..devenir Dieu (..en Lui).

En voulant se faire Dieu (..en Lui), on peut refaire l'unité avec Lui et avec toute sa création. On peut faire «Un».

10:30 AM  

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