dimanche 15 février 2009

Sans rivale

"Une jolie femme qui n'a aucun souci de plaire est d'emblée sans rivale, au sommet de toute beauté, comme le sont les roses et les saintes" (1)

Aurions-nous là le secret du bonheur ? Fini le souci d'être le meilleur, le plus beau, le plus efficace ou le plus rentable ! Règle d'or, me direz-vous, pour échouer dans nos entreprises commerciales ! Mais il y a aussi, moins lucratif, un autre négoce: échanger le désir de plaire pour la sagesse innée des roses. Leur sagesse ? Aucun souci du regard évaluateur se posant sur elles. Elles ne font que refléter ce qui leur est donné. C'est tout ! Heureuse beauté, ternie par aucun regard. Saintes roses !

Sont-elles imitables ? Pourrions-nous puiser à la même source qui les rend belles ? Une Femme, sans aucun souci de plaire, s'est déjà trouvée sans rivale, dès sa conception, au sommet de toute beauté, comme le sont les roses.

Si, comme le disent les orientaux, nous devenons semblables à ce que l'on contemple alors, contemplons les roses ! Contemplons la Beauté partout où elle se trouve ! Son empreinte nous laissera semblables à cette jolie femme, sans aucun souci de plaire, et d'emblée sans rivale.

Et pourquoi n'aurais-je pas, non le souci, mais la joie de plaire ? Où est l'offense ? Heureux de mes talents, je peux aussi me réjouir de ceux des autres, sans les convoiter. Et me voici sans rivalité ! S'aimer est aussi aimer ses talents. Pas d'incompatibilité entre l'amour de soi et l'amour de Dieu. "L'amour de soi est à l'amour de Dieu ce que le blé en herbe est au blé mûr. Il n'y a pas de rupture de l'un à l'autre, juste un élargissement sans fin", dira ailleurs le même auteur.

Cet amour de soi en évolution, continuité sans rupture, c'est l'érosion de l'ego (dans son sens négatif) jusqu'à sa disparition, le "sommet de toute beauté". Pas d'ascèse compétitive, mais un "élargissement sans fin". L'écoulement de la Beauté dans l'âme qui sait contempler.

Il sera sans doute plus facile, dans l'au-delà, de refléter la beauté des roses. Là, pas d'autre admissible. Plus de rivale possible. S'il devait y en avoir une, bien vite elle devrait s'enfuir: trop de souffrance pour elle au paradis ! À moins que ... belle façon de s'enfuir, sa rivalité se transforme en admiration de la beauté des autres. Alors elle devient la sienne ! Ce n'est pas la ruse du renard, mais celle de l'amour.

(1) Christian Bobin, dans "Ressusciter", p. 55