dimanche 10 septembre 2006

Silence de Dieu

Il y aurait un point à revoir, dans mon dernier message (7 sept.) : Dieu pourrait supprimer le mal, mais il ne le fait pas. Grave question du silence de Dieu devant le mal.
La bible nous rapporte, dans l'histoire de Job, que cet homme durement éprouvé a osé se plaindre à ce sujet. Puis, elle nous le montre ensuite retirant sa plainte: "J'ai parlé sans intelligence des merveilles qui me dépassent et que j'ignore" (Job 42, 3)

Entre Dieu et la créature humaine, il n'y a aucune commune mesure. Un abîme infini nous sépare. Infini ! oui, le mot n'est pas exagéré, même si cet abîme, Dieu peut le franchir. Comment donc puis-je lui faire la leçon ? C'est la conclusion de Job. Il est vrai, quelquefois, une souffrance tellement grande, peut expliquer bien des réactions, semblables à celles de Job. Mais, il finit par le reconnaître: "J'ai parlé sans intelligence..."

Cependant, malgré cet abîme, essayons de comprendre ce qui pourrait être compréhensible avec l'outil intellectuel qu'il nous a donné: la raison.
Malgré son "mauvais choix" originel, cause de son mal, la créature humaine reste une créature libre. Si Dieu corrigeait tout le mal dont l'homme est responsable de par sa liberté même, s'il éliminait les conséquences malheureuses de son mauvais choix, ne serait-ce pas comme lui enlever sa liberté ? Tu peux mal agir, mais ne crains rien, j'arrive par derrière et j'annule l'effet de ton action !

Il y a là quelque chose d'inacceptable. Et même d'un peu comique... Cela me rappelle la remarque du patron autoritaire: "Chez moi, tout le monde est libre de faire... ce que je veux !" Si quelqu'un s'oppose, eh bien ! j'annule son action. Ainsi, Dieu peut-il imposer la pratique du bien ? Le bien qui, comme l'amour, ne peut que se proposer. Quant aux conséquences néfastes du mauvais choix: le mal, la souffrance, etc. elles ne sont pas à proprement parlé une "punition", mais bien plutôt la sanction inévitable du choix libre. Et elle en donne le sens.

Cela n'explique pas tout. Car qu'en est-il des cataclysmes naturels: tremblements de terre, raz-de-marée, sécheresses, inondations, etc. ? Tout cela n'est pas dû à une faute humaine !

La bible laisse entendre qu'il y a un lien entre le désordre dans le cosmos, et le désordre qui règne à l'intérieur de l'homme. Saint Paul dira que la création tout entière (le cosmos) gémit dans les souffrances de l'enfantement ou dans l'attente de la rédemption. Et le grand savant et spirituel Theillard de Chardin, laissait entendre que le Corps du Christ était aussi cosmique.

Il y a d'ailleurs une petite histoire orientale, vraie paraît-il, que j'aimerais raconter ici. C'est celle du "Faiseur de pluie". Elle illustre bien ce que je viens de dire. Elle n'est pas de tradition chrétienne, mais Jésus a souvent loué la foi des "paiens", comme on disait, et qu'il a guéris. Elle est rapportée par Richard Wilhelm, un sinologue allemand, ami de C.G. Young qui parle de lui dans son autobiobraphie (Ma Vie, p.430) . K.G. Durkheim, que j'ai cité plusieurs fois, l'a aussi rencontré.

Voici l'histoire: " Au début du siècle (le vingtième) il y eut une terrible sécheresse en Chine. "Les gens décidèrent d'envoyer chercher un "Faiseur de pluie". (Sorte de sage taoiste). Il arrive dans une charrette couverte et demande qu'on le laisse seul. On le place dans une cabane en dehors de village. Au début, rien ne se passe. Le troisième jour... Une grosse pluie ! Impressionné, R. Wilhelm l'interroge: "Comment avez-vous fait ?" Réponse: "Je n'ai rien fait. Je n'en suis pas responsable..." Il insiste et l'homme répond: "Voyez-vous, je viens d'un pays où les gens sont en ordre intérieurement. ILs sont en "Tao". Alors, le temps aussi est en ordre. Mais, en arrivant ici, j'ai vu que les gens n'étaient pas en ordre. Ils m'ont aussi contaminé. Je suis donc resté seul jusqu'à ce que je sois de nouveau en ordre, en "Tao"..."

C'est tout ce que je sais de l'histoire. On la trouvera sans doute pas très scientifique, mais il y a là un sens supérieur qui nous échappe, une sagesse que la science ignore, et que l'anecdote fait ressortir. Ainsi en est-il, peut-être, de bien de nos maux et du silence de Dieu !

jeudi 7 septembre 2006

Mal sans remède ?

Quel mal ? ni le sida, ni le cancer ou autres maladies plus ou moins incurables. Mais il s'agit d'une maladie de ceux qui, comme moi, sont en bonne santé, et qui pourtant sont atteints d'un mal de fond plus grave que le cancer ou le sida. Et nous en sommes tous atteints.

Quel est donc cette grave anomalie ? Rien qui puisse s'observer au microscope, et le chirurgien ne peut pas l'éradiquer. Il s'agit d'un "quelque chose", d'une certaine tendance qui affecte notre volonté dans son orientation, comme une dysharmonie, une "faute de programmation". Réalité pernicieuse qui ne se voit pas; mais ses effets, eux, sont visibles. Quels sont-ils ?
C'est ce qu'on appelle, d'une façon générale, le mal. Celui qui engendre , dans l'humanité, la souffrance et la mésentente sous toutes ses formes.

Parler de ce mal comme étant incurable (tant mieux si je me trompe !) peut sembler très pessimiste. Ce n'est certainement pas un encouragement à ne rien faire pour le combattre. Cela fait partie de notre tâche de lutter contre sans cesse. Et quelle tâche ardue, personnelle et collective ! Tous ces efforts, ces dévouements, ces oeuvres bonnes et nécessaires, il convient de les louer et de les multiplier. Mais... au plan de l'efficacité, comme tout cela nous apparaît une goutte d'eau dans la mer ! Efforts de l'ONU, négociations, entraides, collectes. etc. Une grande misère reste toujours sans remède efficace et durable. Ce ne peut pas être une seule question d'argent. Et ça fait des millénaires que ça dure.

J'en arrive à penser, devant tant d'échecs à éradiquer le mal, que l'essentiel n'est peut-être pas l'efficacité de nos actes (je sens que beaucoup auraient envie de me reprendre !) mais l'essentiel serait plutôt le fait de les accomplir sans se décourager. Car il ne s'agit pas d'abord d'une réussite temporelle, mais d'une transformation intérieure qui se fait par l'accomplissement de ces actes eux-mêmes.
Elle se fait aussi par l'acceptation de la croissance "de l'ivraie avec le bon grain" comme le dit l'évangile, c'est-à-dire par la coexistence du bien et du mal. Nous avons à souffrir le mal dans l'Espérance. Bonne façon de le combattre.

Ce sera la solution proposée par Frédéric Marlière, philosophe et théologien. Comme pour nous aider à comprendre ce peu d'efficacité de nos remèdes temporels au mal de ce monde, il cite cette parole du Christ: "Vous aurez toujours des pauvres parmi vous...". Toujours ! Serait-ce à dire qu'aucun remède en ce monde ne viendra à bout de la pauvreté ?

Il continue: "La pauvreté sous toutes ses formes: indigence, maladie, handicaps de tous ordres, de naissance ou acquis, vieillissement, solitude et mort. Le mal de ce monde est en soi incurable. il faut bien en convenir... tel qu'il est dans son statut d'exil. Dieu lui-même ne peut pas le sauver..."

Il ne peut pas...? Voilà qui pourrait bien scandaliser les croyants ! Dieu serait-il impuissant ? Donc il ne serait pas Dieu. Peut-être le peut-il, mais il ne le veut pas ? Alors, ce qui est pire, il ne serait pas bon ? Pierre d'achoppement pour beaucoup.

Terminons la pensée de notre théologien: "Mais, il y a l'espérance, la seule vraie réponse au mal... 'Mon royaume n'est pas de ce monde'... il y a cette obstination à vouloir un sauveur pour ce temps, pour ce monde tel qu'il est. Plus ou moins consciemment les hommes continuent de penser que Dieu, s'il est Dieu, peut et doit porter remède aux malheurs de ce temps. C'est là toujours que leur foi vacille ou se meurt, au point que la notion d'exil, pour désigner ce monde, n'a même plus cours..."
Et il cite Péguy: 'La foi que j'aime, c'est l'Espérance'. L'Espérance nous dégage déjà des malheurs de ce monde".