mardi 27 mai 2008

Bonheur fugitif

Nos expériences de bonheur ne durent pas. Malgré cela, elles sont précieuses et nous aimerions les prolonger. Mais une perturbation arrive et le bonheur disparaît. Notre bonheur est fragile quand il est dépendant de circonstances: beau temps, bonnes nouvelles, santé, situation financière, etc. Les émotions provoquées par ces contretemps nous empêchent d'accéder à bien des occasions d'être heureux. Exprimer ces émotions peut nous aider à mieux les comprendre, et à retrouver la paix. Ce qui peut se faire par un dialogue, par l'écriture, par la réflexion, ou par d'autres moyens.

La tradition chrétienne et la sagesse orientale nous parlent d'un bonheur stable. C'est même le sommet de la spiritualité. La source d'un tel bonheur est au plus profond de nous-mêmes, et nous rappelle que nous ne vivons pas à notre pleine mesure.

Le monde dans lequel nous vivons n'est pas facile. Qui le niera ? Où vais-je trouver ma pleine mesure ? Les petits bonheurs bien vécus suffiront-ils à remplir la coupe ? Il ne m'appartient pas de la combler, même si j'ai ma part à faire. Un Autre doit s'en charger et accomplir la tâche bien mieux que je ne saurais le faire. Nous ne sommes pas créés pour l'esclavage, ni pour la peine. Nous sommes faits pour la plénitude, la stabilité tant désirée d'un bonheur imperturbable. Mais ceux qui l'ont atteint nous montrent que le chemin qui y mène n'est pas sans peine.

Ce à quoi j'aspire est déjà là, virtuellement en moi. "Que vous soyez heureux, il ne vous manque que de vous en rendre compte", disait Paul Valéry (1) Est-ce trop optimiste ?

(1) Déjà cité, dans "Bonheur d'avoir tous le même âge" au 25 mars 2007

mercredi 21 mai 2008

Alzheimer

Une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer est-elle diminuée dans sa vie de foi ? Est-elle capable de garder et de développer une relation de confiance avec Dieu ? Peut-elle y trouver un secours dans son épreuve ?

Je n'ai guère de doute à ce sujet. Il y a quelques années s'est ouvert ici à Trois-Rivières, la Maison Myosotis, une ressource pour ce type de maladie. Lors de l'ouverture, une demande avait été faite au responsable de la communauté paroissiale, pour qu'il y ait une célébration eucharistique hebdomadaire. Ce qui n'était pas possible. Mon épouse et moi, nous nous sommes demandé si nous pouvions faire quelque chose. Nous avons donc des rencontres avec les malades, chaque lundi matin, depuis quelques années. Nous nous rassemblons pour un échange spirituel et prier ensemble, dans une structure souple qui ressemble à celle d'une célébration eucharistique, avec des chants pris sur un CD de Taizé, des extraits de textes bibliques courts et simples qui servent de base à un échange avec ceux et celles qui comprennent très bien et aiment parler. Les autres écoutent ou .... dorment ! Mais je sens que pour ceux là, il y a une autre porte d'entrée, ouverte au message spirituel.

De ces rencontres nous revenons souvent réconfortés de voir que, malgré leur handicap, quelque chose se passe. J'en conclus, et c'est à cela que je veux en venir, qu'il y a dans notre organisme humain, à côté du physique et du psychique, une structure spirituelle qui a une certaine autonomie, et non vulnérable par la maladie. Le spirituel se garde intact et probablement se conforte davantage quand le reste est blessé. Ils sont réceptifs aux réalités de la foi. Plusieurs expriment leur reconnaissance pour ce qui leur est apporté. D'autres s'expriment par le regard, et le message n'en est que plus fort. Ce regard, souvent accompagné d'un sourire, ne ment pas. C'est bien le meilleur encouragement que nous puissions recevoir. Quand le contact s'établit ainsi j'ai l'impression de les entendre dire: " Je dors, mais mon coeur veille !"

Au début je me posais des questions: Sont-ils tous croyants ? de religions différentes ? Etc. Je ne m'encombre plus maintenant de ce questionnement et de ces catégories. La rencontre est ouverte à tous ceux qui veulent venir et qui le peuvent. Ce sont des amis, et nous leur donnons l'occasion de favoriser leur relation avec Dieu. Nous offrons la communion eucharistique, à ceux qui désirent la recevoir. Ceux qui ne savent pas trop: oui ? non ? Nous respectons leur hésitation. Il suffit alors de les regarder en souriant avec un geste d'amitié. Ce qui est aussi une communion. Et cela suffit. J'ose croire que certains ont déjà un pied dans le Ciel, sans en avoir encore la béatitude !

jeudi 8 mai 2008

Qu'en est-il ?

Un ami m'écrit:
1."On est la résultante de son hérédité ... On n'est pas responsable de ce qu'on est ... On a été fait comme ça ...Est-ce qu'on y est pour quelque chose ? Peut-on en avoir du mérite ?... "
2. "La pauvre créature qui a été élevée sans croyance ... à sa mort, quelle différence y a-t-il avec le croyant ? ... J'ai peur que tu me dises: tout le monde va au paradis !"

Je ne prétends pas avoir réponse à ces questions. Mais pourquoi ne pas en faire mon sujet de réflexion aujourd'hui ?

1. "On est la résultante de son hérédité". Il y a sans doute beaucoup de vrai dans cette affirmation. La science pourrait assez bien nous renseigner. Mais il me semble qu'il y a une certaine marge pour se de-modeler et se remodeler différemment. Je ne me sens pas d'accord sur : "je suis comme ça; je n'y peux rien !". Tant qu'on est en ce monde, une transformation est toujours possible. En mieux, ou en pire !

Je ne serais pas prêt à nier toute liberté et responsabilité. Mais il est bien difficile de dire dans quelle mesure cette liberté est affectée par notre éducation et notre milieu. Voilà sans doute pourquoi l'évangile nous dit de ne pas juger (1). Dieu seul voit les coeurs. Il me paraît bon de condamner certains actes, mais pas les personnes (ou les "personnages", si on est au courant de la distinction). Pauvres juges de nos tribunaux ! Ils ont un travail bien difficile à faire; je n'envie pas leur place !

Peut-on avoir du "mérite" pour avoir accompli certaines actions considérées comme difficiles ? Oui, sans doute, si on voit le mérite comme ce qui rend digne d'estime et de considération. Mais l'évangile ne nous encourage pas tellement dans la conscience de nos propres mérites. C'est intéressant de savoir pourquoi ! (2)

2. "Pauvre créature sans croyances, à sa mort est-elle différente du croyant ?"
N'étant encore jamais passé de "l'autre côté" pour connaître la réception qui est faite à l'un et à l'autre, je n'ai pas de réponse. J'aurais plutôt envie ici de faire l'éloge de l'ignorance au sujet de l'au-delà. Ne pas savoir, dans ce domaine, nous apprend à nous tenir sur nos garde et à "veiller" (3) Ce n'est pas sans raison que certaines choses nous sont cachées. (4). Ce qui n'empêche pas les penseurs, philosophes, théologiens et nous-mêmes, d'essayer de comprendre. Du moins jusqu'où il est possible de le faire.

Ce que j'aurais envie de dire, c'est que le vrai Dieu (car il y en a tellement de faux !) est un Dieu de justice et d'amour. Sa justice n'est pas comme celle des hommes. La parabole concernant les ouvriers de la dernière heure nous le montre (5). Il y a aussi un autre passage qui pourrait se rapporter aux non-croyants, dans la parabole du jugement dernier. Là, on voit Dieu dire: vous m'avez donné à manger quand j'avais faim, visité quand j'étais malade, etc. On lui demande alors: mais quand avons-nous fait ça ? Réponse: Quand vous l'avez fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait (6). Ils n'en étaient pas conscients !

"Tout le monde va au paradis ?" J'ai assez loué l'ignorance pour ne pas m'aventurer sur ce terrain. Si je me considère "enfant de Dieu", je vis dans un monde de gratuité et d'amour. Le désir d'une récompense ne devrait pas trop influencer mon comportement moral. J'ai déjà exprimé, en d'autres billets, que des bandits, des gens peu estimés, entraient en effet dans le Royaume des Cieux. Il ne s'agit pas d'opinion personnelle, mais de révélation évangélique. Telle l'entrée au paradis du bon larron, crucifié avec le Christ. Il y a aussi la femme adultère, la Samaritaine, Zachée le collecteur d'impôt voleur, etc. Tous ces gens ont transformé leur coeur et ont été louangés par le Christ. Non pour leurs fautes, mais pour leur transformation. Ils n'étaient plus les mêmes; pourquoi le "Royaume des Cieux" leur serait fermé ? C'est donc loin d'être quelque chose qui favorise le relâchement des moeurs. Au contraire. On a souvent dit que l'évangile n'était pas une morale. Mais il en découle une façon de vivre conforme à la foi.

Je ne comprends pas très bien pourquoi mon ami me dit: "j'ai peur que tu me dises: tout le monde va au paradis" ! je n'en sais rien. Je souhaite que tous les êtres humains, quel que soit leur actes passés, soit transformés pour être en état d'entrer dans ce "paradis". Sans ce changement, le paradis serait encore invivable. Beaucoup, dans le passé comme de nos jours, ont accompli cette transformation. J'y travaille moi aussi. Et je sais que mon ami, qui me pose les questions y travaille également, avec tant d'autres !

Thérèse de Lisieux disait: "Si Dieu est miséricordieux, c'est parce qu'il est juste ..." Il aime tout ce qu'il a créé, et il a une connaissance parfaite du coeur humain. Thérèse ne séparait pas la justice de la miséricorde et du pardon. Je ne peux que me sentir en accord avec elle. Mais, comme je l'ai déjà dit, il est bon que nous n'en sachions pas davantage. Il nous suffit de savoir que Dieu est amour. Il l'est aussi, et surtout, pour ces 100 000 personnes qui auraient perdu la vie, ces jours-ci, en Birmanie, après le passage du cyclone. Ce qui ne nous dispense pas de faire ce qu'on peu pour soulager toute souffrance, car s'il est amour, nous devons le devenir nous aussi, à notre manière .

1) Matthieu 7, 1-5
(2) Luc 18, 9-14
(3) Matthieu 25, 13
(4) Luc 12, 40; Matthieu 24, 42
(5) Matthieu 20, 1-16
(6) Matthieu 25, 40

jeudi 1 mai 2008

Plénitude insoupçonnée

Une sage réflexion, sur les ondes de Radio Ville-Marie, a retenu mon attention. L'auteur (1) faisait remarquer qu'au niveau de notre organisme biologique la science n'en finit plus de faire des découvertes, mais que le cerveau humain demeure encore un inconnu. Comment ce que voient nos yeux peut se rendre à notre intelligence ? Comment ce qui est sensible peut devenir intelligible et spirituel ? Nous sommes habitués à ce phénomène inexplicable qui nous paraît tellement naturel qu'on ne sait plus s'en étonner. Cela va de soi que nos yeux voient, nos oreilles entendent et que nous en tirions ensuite des conclusions d'ordre intellectuel ou spirituel. Nous l'expliquons scientifiquement au niveau des causes secondes. Et nous nous arrêtons là, sans chercher à remonter plus haut.

Nous sommes en effet un mystère pour nous mêmes. Nous qui sommes arrivés en ce monde sans qu'on nous ait consultés, et qui le quitterons à un moment que nous ne choisissons pas. Tant de choses nous échappent. La psychologie nous donne un enseignement étonnant; et la parapsychologie nous présente des phénomènes difficilement explicables. Tandis que dans le domaine de la foi, nous ne comprenons plus rien ! C'est pourtant elle qui nous éclaire sur notre destinée éternelle.

Par la foi, de nombreux témoins, tant du passé que contemporains, ayant vécu dans les mêmes conditions que nous, ont débouché dans des espaces de lumière et de plénitude. Un tel accent de vérité émane de leurs paroles et de leurs actes qu'il est bien difficile de penser qu'ils aient été victimes d'illusion. À leur étonnement, ils ont atteint des sommets d'accomplissement auxquels ils n'avaient jamais aspiré. Ainsi, il y a en nous des espaces inexplorés, des pierres d'attentes pour nous procurer un bonheur qui nous paraît inaccessible.

Aveugles à ces horizons, nous pouvons nous sentir comme prisonniers de la vie qu'on n'a pas demandée. Au point que certains, en bonne santé et ayant ce qu'il faut pour vivre, sont tentés de s'enlever la vie. Situation qu'on ne peut juger, mais désolante: La vie semble absurde, comme une impasse. Alors qu'elle ouvre sur des horizons infinis, dit notre auteur: "L'homme a en lui d'insoupçonnables possibilités ... il est dévoré par un appétit de bonheur ... mais il voudrait souvent une réussite sortie de ses mains ... cherchant toujours a augmenter son capital " Fausse route ! " Nous avons seulement à devenir nous-mêmes ... C'est mal connaître le coeur humain que de l'orienter vers la consommation et la possession ... Son accomplissement est vers la transfiguration". Transformation qui est "une nouvelle naissance" dit la révélation.

"Pour nous remplir de lui, Dieu doit nous vider de ce que nous nous efforçons d'amasser ... ce qui peut paraître bien ingrat de nous faire perdre le fruit de nos labeurs. À qui ira l'héritage ?" Je deviendrai donc riche en perdant mon avoir, pour devenir moi-même ? C'est ce que je crois devoir comprendre. Ainsi nous sommes préparés à entrer dans la Cité céleste, règne de l'amour et de la gratuité, où nous ne pourrons emmener que notre être d'enfant de Dieu.

Mais nous ne sommes pas des anges ! J'oserais ajouter qu'en ce monde le dépouillement de l'avoir se fait surtout dans le coeur. Il n'exclut pas le bon usage que l'on peut en faire, avec la liberté que donne le détachement. Mais ... je ne le trouve pas toujours facile !

(1) Yves Girard, moine trappiste