mardi 24 juin 2008

Liberté nouvelle

"Découvrir la liberté nouvelle qui nous permet de danser sur nos ruines". (1) Quelles sont ces ruines ? Une réalité passée, qui n'est plus, et qui me tenait attaché ? Libéré je peux maintenant m'en réjouir. Libéré peut-être de l'argent qui me tenait. Ne sachant pas le posséder, c'est lui qui me possédait: "On ne possède vraiment que ce que l'on est capable de donner. Autrement, on n'est pas le possesseur, on est le possédé". (2)

Et mon corps ? Soumis au vieillissement et à la finitude, puis-je danser sur son déclin, sur sa ruine ? Il a été un bon serviteur, mais il retournera à la terre comme un germe de vie éternelle. Pour qu' il puisse porter son fruit, il doit passer par la mort; comme toute graine enfouie, pour se transformer et fructifier. Peu importe qu'il meure de vieillesse, de maladie ou d'accident. Oui, je peux danser sur les ruines de mon corps et, dès maintenant ne plus m'affliger de la vieillesse ou de l'infirmité.

D'une certaine façon, en dehors du temps dans lequel je vis, tout est déjà là. Mais, pour l'instant, je suis en attente de ce que j'ai déjà. "Vienne l'Esprit pour nous apprendre, à voir dans ce jour qui s'avance, l'espace où mûrit notre attente, du jour de Dieu, notre espérance". (3)

Peut-il y avoir d'autres ruines sur lesquelles je puisse danser ? Oui, sans doute beaucoup ! Toutes choses qui furent pour moi un signe visible de la réalité invisible. Telle la beauté sous toutes ses formes mais qui, comme les roses, passe. À travers le signe qui se fane, j'ai pu entrevoir la réalité cachée. Espérer, c'est savoir attendre et esquisser déjà un pas de danse sur ce qui disparaît à nos yeux de chair pour apparaître, dans son essence éternelle, aux yeux du coeur. Il vaut le peine de voir qui nous libère ? et qui, au lieu de pleurer, nous fait danser ?

(1) Phrase prise au vol, dans une méditation du Père Yves Girard, sur les ondes de Radio Ville-Marie.
(2) Abbé Pierre.
(3) Hymne de "Liturgie des Heures", (mercredi II, matin)

mercredi 18 juin 2008

Identités meurtrières

"Nous devons cesser de nous forger des identités meurtrières", disait André Chouraqui, homme de paix et d'unité, qui n'a cessé d'y travailler tant par ses actions que par ses écrits.

http://www.andrechouraqui.com/index1.htm

Dans notre monde pluraliste, les valeurs universelles deviennent prédominantes. Les communautés fermées sur elles-mêmes ne pourront pas subsister longtemps. C'est heureux. Malgré des résistances, un mouvement d'ouverture aux autres cherche à transformer nos liens. Il y a là une condition nécessaire à notre survivance pacifique sur la planète. Nous ne pouvons plus organiser une communauté, locale ou nationale, comme si nous étions seuls. Nous devons nécessairement tenir compte de la différence de l'autre et de notre rapport au monde.

Que signifie: se forger une "identité meurtrière" ? C'est se définir en opposition à un autre, vu comme une menace, qu'on n'accepte pas et qu'on rejette. Intégrer l'autre, c'est l'accueillir avec ses racines et ses différences. Et cela va dans les deux sens. Sinon, la vie commune devient difficile et fragile. Comment alors converger vers une communauté pacifique ? Il en est de même pour notre identité individuelle en relation avec notre entourage. Vérité banale, mais pas facile à mettre en pratique.

Pourtant, la vie qui nous anime n'a-t-elle pas en chacun de nous la même origine ? C'est cela qui constitue, malgré la divergence de nos traditions et de nos cultures, la fraternité élargie. Sans la conscience de notre source commune, comment pouvons-nous avoir une communauté fraternelle où il fait bon vivre ? "Oui, il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble et d'être unis !" (1).

Chacun peut s'efforcer de retrouver dans sa propre foi, ou sa conscience profonde, un fondement à cette fraternité universelle. Il est assez curieux de voir que les motivations religieuses deviennent souvent des occasions d'oppositions et de guerres. Ce qui est fait pour unir produit un effet contraire. Quel paradoxe ! Quel trouble-fête est venu inverser nos valeurs ?

Le laïcisme, alors qu'il devait contribuer à créer un climat favorable à la pluralité, est souvent devenu, mal compris, une neutralité qu'il faut aussi apprendre à intégrer, comme s'il s'agissait d'un adversaire. Pourquoi le laïcisme, en occident, rend il tabou l'idée de Dieu ? Comment unifier un peuple en éliminant, par principe, un élément essentiel de la nature humaine: sa composante spirituelle ? Ainsi, dans les états laïcs occidentaux, on n'en parle pas publiquement. On évite ce mot dangereux. Pourquoi avoir si peur de la réalité spirituelle et la reléguer au rang des affaires uniquement privée ?

S'ouvrir à l'autre au-delà de nos frontières et dans un service mutuel, doit aussi se faire en tenant compte de cet élément qu'est la transcendance. Nous devons être conscients de notre lien commun qui fait que nous sommes tous des êtres humains. C'est ce qui transforme la communauté et la rend agréable. Atteindrons-nous ce but en ce monde ? Cela ne devrait pas être impossible. C'est déjà une cause de bonheur que de savoir que l'on tend vers un tel but, et d'y contribuer à notre façon.

(1) Psaume 132 (133)

mercredi 11 juin 2008

Tout puissant ou humble ?

Dieu agit dans le monde à travers nous. "Nous sommes les mains de Dieu" dit-on. Ainsi, nous pensons que s'il y a des choses qui marchent mal sur notre planète, c'est parce que nos mains n'ont pas fait ce qu'il y avait à faire. Ce n'est peut-être pas faux, mais je ne crois pas que l'action divine soit si étroitement liée à nos réponses et limitée par elles. Comme si Dieu ne pouvait pas intervenir dans l'histoire sans nos mains. Est-ce qu'on ne projette pas sur Dieu nos façons d'agir ? Tout comme une entreprise commerciale se trouve bloquée, incapable de production, devant la grève de ses employés.

Oui, Dieu agit à travers nous. C'est incontestable. Si notre oreille intérieure est attentive, elle percevra une orientation à prendre ou une action à faire. Bien des souffrances peuvent ainsi être abolies par nos mains. Mais la puissance divine est-elle paralysée s'il n'y a pas de réponse de notre côté ? Dieu abandonnera-t-il celui que j'abandonne ? J'espère que non ! "Si ton père et ta mère t'abandonne, moi je ne t'abandonnerai pas" nous dit l'Écriture. Ce qui ne justifie en rien mon indifférence à la souffrance des autres: "Ce serait un outrage à Dieu et au prochain, que laisser l'affamé avoir faim, sous prétexte que Dieu est proche de sa misère" (1). Mais nos réponses peuvent être lentes et nos chemins tortueux. Nos réponses sont le moyen concret d'exprimer notre amour tant envers Dieu qu'envers les humains; les deux ne faisant qu'un.

Aujourd'hui nous n'aimons pas trop parler d'un Dieu "Tout Puissant". Car en effet, cette Puissance semble mise en échec par la présence scandaleuse du mal. Pourquoi le Tout Puissant n'intervient pas ? Est-ce vraiment notre liberté qui limite ou retient son intervention ? Nous sommes là mis en présence d'une épreuve pour la raison qui essaie de comprendre. On ne peut pas nier cette puissance divine, ni la réduire, car il ne serait plus Dieu. Mais nous pouvons essayer de la comprendre. L'action de nos mains ne résout pas le problème, puisqu'il y a aussi un mal qui, apparemment ne dépend pas de notre liberté, comme les catastrophes naturelles, si nombreuses et meurtrières ces temps-ci, en Birmanie, en Chine et ailleurs. Un désordre originel, bien mystérieux, un mauvais choix de l'homme en l'Eden, en est-il la cause ? C'est bien ce que nous laisse entendre le début du livre de la Genèse, dans le mythe du serpent tentateur. Nous savons, d'autre part, que "la création tout entière gémit dans les souffrances de l'enfantement" nous dit Saint Paul. Qui a mis la création dans cette situation ? Pourquoi le monde est-il soumis au "Prince de ce monde", comme le dit l'Écriture ? On ne voit pas de réponses rationnelles à ces difficiles questions.

Au lieu de qualifier Dieu de "Tout Puissant", nous préférons parler de son "humilité".
Qualification plutôt insolite par rapport aux siècles passés. où l'on aimait faire ressortir sa force, sa domination et ses victoires. C'est bien avec cette mentalité que les juifs du temps de Jésus, voyaient l'intervention temporelle du Messie. Pourtant, "si Dieu est Amour, il ne peut être qu'humble" écrivait le Père François Varillon. Dans cette humilité il faut voir, bien sûr, la puissance de l'Amour divin, non pas réduite, mais agissant sans écraser, respectant les créatures libres et intelligentes que nous sommes, sans exiger une obéissance de type militaire ou d'un despote. Dieu est "lent à la colère" et pédagogue. L'humilité divine s'est contemplée dans la "faiblesse" du Christ crucifié; c'est sa manière d'exprimer sa puissance, tellement différente de la nôtre. Cela va-t-il résourdre le mystère de la souffrance dans le monde ? Non, mais peut-être mieux nous disposer à ouvrir une autre porte de compréhension que celle de notre tête. La foi nous rend capables "d'accepter l'inacceptable". Car "quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien" écrit Saint Paul aux Romains.

Des saints de différentes traditions nous l'ont montré; par exemple un Dietrich Bonhoeffer (1) ou encore une jeune juive mue par l'Esprit comme Etty Hyllesum (2), morte héroïquement dans les camps de concentration. Et bien d'autres. L'humilité de Dieu n'enlève rien à sa toute puissance. Mais c'est humblement qu'il est tout puissant.

(1) Dietrich Bonhoeffer: Pasteur et théologien allemand mort dans les camps pour sa résistance au nazisme. Cf. ses lettres de prison: "Résistance et soumission" (Posthume, 1951)
(2) Etty Hyllesum. Cf. son journal (1941-1943) "Une vie bouleversée" au Seuil, 1988

mardi 3 juin 2008

Changement

Nous sommes toujours en quête de choses nouvelles. Le changement fait partie de notre condition. On a pu dire, en boutade, que "le changement était la seule chose qui ne changeait pas". Mais quels sont ses effets ? Est-ce pour nous libérer ou nous rendre esclave ? Les deux sont possibles. Est-ce vrai que "Dieu fit la liberté, et l'homme l'esclavage" ? (1). À vérifier !

Qu'est-ce qu'on espère du changement ? Nous en espérons trop quand nous pensons qu'il va transformer notre monde en paradis terrestre. Quand nous pensons qu'à force d'inventer et d'améliorer sans cesse nos conditions de vie, nous allons trouver enfin une société idéale où notre soif de bonheur sera comblée. C'est le mythe du progrès. Il s'est montré pas mal décevant. Il y a là une situation spirituellement fausse. Nous en avons l'expérience, si rien ne se produit au niveau du coeur, nos progrès sur le seul plan matériel et technique, risquent fort de nous conduire à de nouveaux esclavages. Et à une situation pire que la précédente.

Cependant ne soyons pas trop pessimistes. Car tout être humain est capable d'être à l'écoute d'une sagesse qui le guide vers "la liberté que fit Dieu"et le libère de "l'esclavage fait par l'homme". Nous pouvons alors espérer beaucoup du changement. Comme par exemple: exploiter intelligemment et respecter la terre mère; développer les cultures biologiques; et surtout organiser le partage de ce que nous avons en surabondance. Est-ce vrai que la terre ne peut plus nourrir tous ces habitants, comme certains le pensent dans la crise actuelle ? J'en doute ! Je ne croirais pas que la terre soit la fautive. Elle ne manque pas de générosité. Regardons plutôt le comportement désordonné de ceux qui l'habitent et la rendent malade.

Cependant le changement en ce monde, aussi parfait et désirable soit-il, ne nous apportera pas sur cette terre, l'objet de l'espérance plus ou moins cachée au fond de nous. Cette espérance se réfère à une transcendance et elle est d'un tout autre ordre que les améliorations matérielles, sociales, politiques, ou les progrès de toutes sortes qui peuvent se faire sur la planète. Tout cela concerne le déroulement horizontal de l'histoire humaine. Au delà, il y a la réalité transcendante; terme très générique que chacun peut voir comme il veut. De cette réalité, nous avons à en témoigner, chacun à notre façon.

Le changement du coeur se fait dans le rapport vertical entre l'homme et sa source. ll doit nous conduire à substituer, dés maintenant, notre esprit de conquête et de possession, par un esprit d'accueil de la transcendance. Et, là commence déjà, la vie éternelle.

Voici, en conclusion, une pensée de K. G. Durckheim. plusieurs fois cité dans ce blogue (2). "L'homme est citoyen de deux mondes: celui de la réalité existentielle, conditionnée, bornée par le temps et l'espace, accessible à la raison et à ses pouvoirs; et celui de la réalité essentielle, non conditionnée, qui est au-delà du temps et de l'espace, accessible seulement à notre conscience intérieure et inaccessible à nos pouvoirs".

(1) Marie Joseph Chénier
(2) Cf. au début de ce blogue: 27 mai et 1 août 2006. Et ailleurs.