dimanche 30 novembre 2008

Ennui

Je viens d'entendre une citation, plutôt comique, de Baudelaire. La voici:
"Le monde n'est pas menacé de périr par la guerre, mais d'être victime d'un ennui colossal capable d'engendrer un bâillement grand comme l'univers. Un bâillement d'où, un jour, sortirait le diable".

Venant d'un aussi grand poète, ces paroles méritent qu'on s'y attarde, même si elles datent du 19 ième siècle. Je ne suis pas sûr encore de bien les comprendre. Que peut-il bien vouloir nous dire de sérieux, à travers cet humour plutôt noir ?

Donc, au temps de Baudelaire, on s'ennuyait ... Et même beaucoup, puisque cet ennui colossal était capable d'engendrer un bâillement grand comme l'univers d'où, un jour, sortirait le diable. Image terrifiante ! Le mal suprême ne serait pas de s'entretuer, comme nous avons l'habitude de le faire. Il y aurait plus dangereux encore: s'ennuyer ! L'ennui paraît pourtant tellement plus banal que la guerre

Mais si pour Baudelaire l'ennui engendre le mal, nous avons alors besoin de distractions pour y remédier. Et la guerre, pour les hommes belliqueux, en est une bonne; mais combien diabolique ! Je ne peux que reconnaître le courage de ces hommes qui, au nom d'un idéal, ont risqué ou donné leur vie en participant à de tels carnages. Mais, il est étonnant de voir comment les récits de guerre passionnent et libèrent, au moins momentanément, de l'ennui. Il est vrai qu'il y a aussi le devoir de la mémoire: se souvenir pour ne pas que ça recommence ! Au 21 ième siècle, est-ce qu'on s'ennuie encore ? Il semble bien que oui. Et cet ennui tout aussi fondamental, est cause aussi de bien d'autres maux.

L'ennui motive bien des activités: http://www.radio-canada.ca/par4/gr/gr1602.html

J'aimerais encore donner une autre citation. Elle vient d'un ami religieux. Un jour je me plaignais de m'être ennuyé dans une salle d'attente. Sa réponse: "un croyant ne s'ennuie jamais, il a toujours une Présence à ses côtés ! ". Décédé, cet ami est maintenant passé du côté de la grande Présence non troublée; il ne peut plus s'ennuyer. J'ai eu souvent l'occasion de mettre sa remarque en pratique. Ce qui ne veut pas dire que l'ennui ne m'ait jamais rattrapé; mais j'avais au moins le remède.

Ce bâillement "grand comme l'univers" n'est autre semble-t-il, qu'une infinité de petits bâillements individuels. Plus nous travaillerons à les réduire, sur un plan personnel, plus nous amenuiserons le grand ennui collectif, si meurtrier.

Il est assez normal d'avoir des moments d'ennui. Rien là de catastrophique. Surtout ne déclenchons pas une guerre ! Il suffit d'accepter ces états intérieurs et d'essayer de voir le message qu'ils nous livrent. Si la grande Présence ne suffit pas, ce qui est souvent le cas, voici quelques "trucs" (ça peut aider !) pour bailler moins fort, et maîtriser "le diable".

http://www.acsm-ca.qc.ca/virage/personne-agee/trucs-pour-vaincre-l-enuis.html

samedi 22 novembre 2008

Un seuil ... Et après ?

"Un seuil, pour infranchissable qu'il soit, ne nous autorise jamais à conclure qu'il n'y a rien au-delà " (1)
Et comment ne pas me heurter à un seuil, quand j'essaie de scruter ce qui se passe après la mort corporelle ? Ma faculté de voir et de comprendre atteint alors sa limite. Puis-je en conclure logiquement qu'il n'y a rien après ? Certains, et quelquefois parmi les plus savants, en ont tiré cette conclusion. Est-elle la bonne ?

"Il ne s'agit pas de faire admettre l'absurde et le contradictoire, mais de ne pas les mettre là où seule est en cause la faiblesse de nos limites humaines" (1)
Ce qui dépasse nos catégories d'espace et de temps est inconcevable. Voilà pourquoi on parle de "Mystère". Rien là d'absurde ou de contradictoire. Seulement une limite pour la raison. L'enjeu est énorme, d'avoir à choisir entre le néant et le Mystère ! Selon la façon dont on l'aborde, le Mystère peut être source de souffrance ou de joie. Ou les deux ensemble ! De souffrance: il répugne à ma raison de ne pas comprendre, de se sentir obligée d'abdiquer devant l'inconcevable. De joie: la foi me souffle le contenu du Mystère, et me laisse pressentir: voilà ce qui se cache derrière. La raison n'a aucun fondement ici pour ridiculiser la foi.

L'homme de foi ne peut pas se moquer de l'athée. Ni l'athée se moquer du croyant. Comme certains chercheurs l'ont fait remarquer, l'athéisme se retrouve surtout dans nos sociétés occidentales, et ne semble pas tellement concerner le monde oriental. Pour la plupart des orientaux, nier Dieu ne leur vient même pas à l'esprit. Sa présence parmi eux est une évidence.

Pour défendre l'athéisme, nous pourrions dire que beaucoup d'athées rejettent un faux"dieu", souvent haïssable. De ce dieu là, moi aussi je me veux athée. Il est tellement différent du Dieu d'amour et sauveur que nous présente la révélation.

http://www.1000questions.net/fr/36q/q-10.html

Certains affirment croire comme malgré eux. Ainsi Louis Pauwels, écrivain et journaliste. À la question de François Bluche: Pourquoi croyez-vous en Dieu ? il répondait, vers la fin de sa vie: "Je crois en Dieu parce que je ne peux faire autrement. " Peut-être serait-il plus intéressant d'entendre la réponse à la question: Pourquoi ne croyez-vous pas en Dieu ? On verrait mieux, pour l'incroyant, ce qui le pousse à refouler l'invisible dans l'imaginaire ou l'illusion. Pour Saint-Exupéry, "L'essentiel est invisible".

Voici une liste d'articles, tirés du même lien signalé plus haut. En accord ou non avec eux, ils pourraient nous aider à approcher ce qui se cache au-delà du seuil :

http://www.1000questions.net/fr/36q/

(1) Frédéric Marlière, dans "Et leurs yeux s'ouvrirent"; Anne Sigier, 1988

samedi 15 novembre 2008

Appétit d'éternité

Ma réflexion aujourd'hui se fera à partir de ces quelques paroles d'Yves Girard:

1 - "Difficile d'accepter cette partie de nous-mêmes ouverte sur l'infini et l'absolu. Que de souffrances nous nous serons inutilement imposées pour nier notre appétit d'éternité."

Qu'est-ce que cette partie de nous-mêmes ouverte sur l'infini et l'absolu ? Elle est en chacun de nous, souvent ignorée ou refusée. Telle une fenêtre ouverte sur notre espace spirituel dont nous pouvons avoir déjà la nostalgie. Dans l'épreuve, elle est comme une issue de secours par où entre un peu de lumière d'en-haut, et donne un sens nouveau à notre vie devant les situations absurdes. Grâce à elle, notre "appétit d'éternité" espère être comblé.

Cette ouverture sur l'infini n'est pas surajoutée, elle fait partie intégrante de mon être essentiel. Sans elle mon être est tronqué, mutilé de ce qui fait de moi un être humain, différent de l'animal peu préoccupé de l'éternité. Je peux nier cette partie essentielle, ou faire comme si elle n'existait pas, mais je me prive de mon lien avec l'absolu qui, en moi, porte la marque de l'immortalité. Alors, voilà qu'apparaît "la souffrance inutilement imposée pour nier notre appétit d'éternité. "

Ainsi, tant de personnes, pourtant comblées en ce monde , n'arrivent pas à être heureuses. Arrivées à un certain âge, ou même plus jeunes, et bien qu'il ne leur manque rien, elles souffrent de leur manque de l'essentiel. Une insatisfaction et une angoisse les taraudent, et elles ne savent pas trop pourquoi.

2 - "Nous n'avons pas la liberté de donner à notre coeur n'importe quelle nourriture ..."

Voilà pourquoi, si nous cherchons le bonheur, nous n'avons pas la liberté de donner à notre coeur n'importe quelle nourriture. Car, selon le mot célèbre de St. Augustin (plusieurs fois cité dans ce blogue): "Tu nous as fait pour toi, Seigneur, et notre coeur est inquiet tant qu'il ne repose pas en toi" .

3 - "Nous continuons d'aspirer à une forme naïve de fraternité d'où les incompréhensions et les conflits seraient absents ..."

Nous rêvons de cet état paradisiaque où nous serions tous frères, sans conflits, sans souffrances.
Nous n'avons sans doute pas tort, même si ce rêve est qualifié ici de naïveté. Nous avons même le devoir d'y tendre, d'y travailler individuellement et collectivement. Des progrès se constatent quelquefois; on a alors l'impression que l'humanité fait un bond en avant. L'élection de Barack Obama, aux USA, semble en être un. D'autres événements l'avaient précédé et préparé. Mais peut-on, dans ce monde tel qu'il est, espérer la réalisation de notre rêve de perfection ? Sans être pessimiste, notre espérance aura probablement sa réalisation parfaite après notre passage obligé par la mort corporelle. C'est elle qui nous ouvre l'entrée dans le Mystère. Il demeure encore caché.

Que dit la raison au sujet de l'éternité ? Un peu de philosophie avec Platon: Le temps, image mobile de l'éternité. (Le Timée). Cliquer sur:

http://sergecar.club.fr/textes_1/platon17.htm



samedi 8 novembre 2008

Si petit, et si grand !

La science aurait humilié l'homme, dit-on, en lui faisant perdre l'illusion qu'il était roi au centre de l'univers. En effet, depuis le XVI ième siècle, Copernic nous a appris que notre planète n'était pas le centre de l'univers, comme on le pensait, mais qu'elle tournait autour du soleil.

La cosmologie moderne nous démontre, aujourd'hui, que le soleil est relativement minuscule dans le cosmos. Il ne serait qu'une simple étoile perdue au milieu des cinq milliards d'autres de notre voie lactée. Et la terre ? Elle devient microscopique ... Vraiment fascinant quand on regarde les choses à notre échelle.

À nos yeux, cet infiniment grand est séparé du monde de l'infiniment petit par un abîme incommensurable. Mais dans le monde hors espace-temps, propre au domaine divin, macrocosme et microcosme ne pourraient-ils pas être proches l'un de l'autre ? Ne pourrions-nous pas retrouver dans ces extrêmes, la même sagesse et la même harmonie ? Que deviennent alors nos échelles de grandeurs ? L'être humain doit-il se sentir humilié, anéanti, parce qu'il ne serait qu'un point infime dans cette immensité ?

Puis-je monter d'un cran et m'approcher du niveau de la foi ? Ne suis-je pas appelé, moi aussi, à entrer dans cette dimension qui me grandit sans m'enorgueillir ? Car pourquoi me glorifier d'une telle grandeur qui fait de moi infiniment plus qu'un être rapetissé et humilié dans l'espace du cosmos ? Que m'importe alors que la terre soit le centre de l'univers ou non ? "Si tu savais le don de Dieu" disait le Christ à la Samaritaine (1).

Bien sûr, nous ne sommes plus ici au seul plan scientifique. Mais, même au plan rationnel, il y a des convergences vers les données de la foi. On peut méditer dans le lien ci-dessous, la réflexion d'un savant qui l'a conduit à dépasser les conclusions de la science:

http://www.asmp.fr/travaux/gpw/philosc/rapport1/thuan.pdf

La vraie grandeur de l'être humain n'est pas en fonction de la place qu'il occupe dans le cosmos. Elle est d'un autre ordre. D'ailleurs, n'est-ce pas parce qu'il est doué de conscience et de possibilité d'aimer, qu'il est aussi capable d'admirer la voûte étoilée, et de remonter à son Créateur ? Ne serait-ce pas absurde de vivre en ce monde, sans que la Vie ait un sens ? Les grands sages de l'humanité, nous font comprendre que ce sont nos épreuves en ce monde qui nous aident à trouver ce sens, à nous transformer et à marcher vers notre but.

(1) à lire dans son contexte, dans l'évangile de St. Jean 4, 5-14

dimanche 2 novembre 2008

Haut et bas

Ces termes symboliques, haut et bas, sont signifiants de réalités spirituelles. Mais ils peuvent nous égarer en dehors du réalisme d'une vie simple et concrète. Ceux et celles qui se laissent séduire par les "choses d'en haut", (et comment ne seraient-elles pas séduisantes ?) peuvent se croire mis devant un dilemme: faire un choix entre le haut et le bas, alors qu'ils ne sont pas séparés; le haut est aussi dans le bas.

Les réalités spirituelles sont vécues dans les réalités terrestres, mais pas n'importe comment. Nécessairement, une tension se crée entre les deux, et un juste équilibre peut être long à trouver. Pour les "fervents", la réaction première serait de mépriser le bas pour s'orienter vers le haut seulement. Mais, comme dit l'adage: "Qui veut faire l'ange fait la bête". C'est un risque, même si ce n'est pas celui que l'on rencontre le plus souvent.

En échangeant sur ce sujet, mon épouse m'a fait connaître un texte du VI siècle (1) que j'aimerais citer ici, car il me semble donner la note juste. L'auteur est Saint Grégoire le Grand, homme d'action énergique, mais aussi écrivain spirituel: "Retenez les biens de ce monde, dit-il, mais de telle façon qu'ils ne vous retiennent pas dans ce monde. Possédez, mais ne vous laissez pas posséder. Il faut que votre esprit domine ce que vous avez ...".

Et il montre comment assumer "le bas" sans se laisser prendre par lui: "Sachez donc user des biens terrestres, et désirez les biens éternels; servez-vous des biens de la terre dans le cours de votre vie, et désirez trouver les biens du ciel à l'arrivée. Tout ce qui se passe dans ce monde, regardez-le comme à la dérobée. Que votre regard intérieur se dirige en avant et considère avant tout les réalités qui sont votre but ... Que les activités terrestres qui nous plaisent rendent service à notre corps sans créer aucun obstacle à notre coeur "

Craint-il d'avoir été trop exigeant, de décourager ? Il précisera: " Je n'ose pas vous dire de tout abandonner, mais si vous le voulez vous abandonnerez toutes choses même en les gardant, si vous vous conduisez dans le temps en aspirant de tout votre esprit à l'éternité ... Dans cette subordination, ils sont utiles en dehors, sans briser l'élan de l'âme qui se porte vers les hauteurs"

Ordinairement, il est vrai, l'appât du gain est plus fréquent que la tentation de tout abandonner. Cependant, une fois que l'intérêt pour les "choses d'en haut" se manifeste, ce texte peut aider à trouver l'équilibre pour résoudre la tension inévitable. Ce n'est pas facile, mais "pour nous comporter ainsi, dit-il, nous avons un médiateur entre Dieu et les hommes".

(1) On peut trouver ce texte dans "Liturgie des heures", tome IV, page 1395 (éd. de 1993)