lundi 27 août 2007

Réflexion sur nos divergences

"Le Nouvelliste", notre journal de Trois-Rivières, consacre une place importante à "L'opinion du lecteur". J'y ai quelquefois donné mon point de vue, sachant bien que quelques uns seulement le partageraient. Il est intéressant de constater les divergences d'opinions chez des gens qui, de bonne foi, cherchent la vérité; et je me demande sur quoi, en profondeur, elles se basent ? Probablement que, la vérité étant une, nous en avons seulement une vue partielle, et lorsque nous nous exprimons, ce sont les divergences qui ressortent.

Dernièrement, un lecteur s'opposait farouchement à l'envoi de soldats canadiens en Afghanistan: "La paix ne se fait pas par des armes, mais bien plus par l'amour et le partage" disait-il. Un autre lui répond: "Quelle belle assertion, M. Kemp, mais de grâce, retirez vos lunettes roses !" Si l'échange est émotif, il est difficile, quand nous sommes contrariés dans nos convictions, de progresser dans la recherche de la vérité. Ceux que l'on qualifie de "sages" ne semblent pas se laisser emporter par leurs émotions. Ils peuvent manifester quelquefois de "saintes colères", mais elles sont voulues et non subies.

Ainsi, pour ne citer que quelques exemples pris dans notre journal, on est pour l'envoi de militaires canadiens en Afghanistan, ou contre. Pour l'enseignement religieux dans les écoles, ou contre. En faveur des organismes génétiquement modifiés, ou contre, etc. L'étalage des divergences se voit partout. Et si quelquefois, on trouve un accord commun, c'est qu'il s'agit de généralités incontestables: travailler en faveur de la paix, de la justice, au progrès de l'humanité, etc.

Il est curieux de voir avec quelle conviction chacun défend sa pensée, sûr d'avoir raison, laissant peu de place au doute. Et je n'y échappe pas ! La société est ainsi faite, et la vérité ressort de la confrontation de ces divergences. Mais souvent, au lieu de l'apparition d'une vérité commune, c'est plutôt le fossé qui se creuse entre les points de vue. Il doit bien pourtant y avoir une base commune, et à partir de ce minimum admissible par tous, on devrait pouvoir examiner nos divergences et progresser.

Est-ce vertu de tenir mordicus à sa pensée, et de la défendre vigoureusement ? On vante le courage politique de certains élus qui ont su ainsi faire progresser des causes. Mais il faut aussi avoir le courage d'examiner si nos convictions sont vraiment fondées. Mes arguments sont-ils absorbables par celui qui les écoute ? Il y a des étapes à franchir, face à l'opposant, en assumant ses objections et en se mettant un peu à sa place. Est-il bon de "proclamer" la vérité ? Essayons plutôt de la vivre du mieux possible. Dans ce que je défends, quelle est la place de l'intérêt personnel ? N'est-il pas plus fort que l'amour de la vérité ? Bien des choses font que, dans ce labyrinthe d'intérêts différents, souvent inconscients, (mais pas toujours !) il est difficile de s'entendre; même entre ceux qui confessent une même foi. Ce qui conduit à la multiplication des clochers !

Pour me placer à un niveau moins psychologique et plus spirituel, j'aimerais souligner ce passage de l'évangile de Saint Jean rapportant les paroles du Christ sur la pain de vie (1). Incapables de recevoir ces paroles difficiles: "manger mon corps", on voit "nombre de ses disciples se retirer et cesser de l'accompagner". Jésus dit alors aux douze: "Voulez-vous partir, vous aussi ?" Pierre qui ne comprenait guère plus que les autres, répond sans hésiter: "Seigneur, à qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle !" Il n'était pas un intellectuel, mais il s'attache à la vérité d'une autre façon qu'intellectuellement. Pour lui, la Vérité est une Personne. Il n'est pas nécessaire de la comprendre, seulement lui faire confiance. Il comprendra peut-être mieux plus tard. Et il fonce dans la bonne direction, sans décrier ceux qui ne font pas comme lui.

Cette attitude de Pierre, n'est plus ce "minimum admissible en commun", puisque la plupart ne l'admettent pas. Elle me montre cependant un comportement possible sur le plan personnel dans les divergences au plan de la foi : se confier en Celui qui sait, et qui ne nous trompe pas ! Enfin, une porte de sortie du labyrinthe !

Remarquons, cependant, qu'une entente sur le "minimum admissible en commun", n'est pas une réduction de la vérité au plus petit dénominateur commun. La vérité ne se réduit pas. Elle est ce qu'elle est. Nos opinions à son sujet ne la changent pas, ni ne l'ébranlent ! À partir de ce minimum, nos vues divergent en des voies différentes, mais au moins nous pouvons faire un bout de chemin ensemble, et nous ouvrir à la vérité temporaire et subjective de chacun.

(1) Cf. Évangile de St. jean 6, 64-69

mercredi 22 août 2007

Au-delà de la connaissance sensible

Le monde sensible, que je connais par mes cinq sens, me donne le sentiment du réel, du solide. je ne doute pas de son authenticité. Mais, après ma mort physique, mes cinq sens disparaîtront. Aurai-je encore une connaissance ? Celle acquise par les sens demeurera-t-elle ? Y aura-t-il un autre mode de connaissance ?

Domaine mystérieux. Mais il n'est pas interdit de le pénétrer, du moins partiellement. À ces questions, je pense pouvoir répondre: oui. Après la mort, un nouveau mode de connaissance, qui englobe celle acquise par les sens, deviendra alors possible. Connaissance supérieure, parce que directe, intuitive. C'est ainsi que connaissent maintenant, ceux et celles qui nous ont précédés dans l'au-delà.

Après quelques décades passées sur cette terre, tout ne s'écroule pas pour retomber dans la nuit du néant. Il y aura plutôt une transformation de la connaissance. Peut-on déjà, avant la mort, participer d'une certaine manière à ce nouveau mode de connaissance ? On a pu dire que cette croyance n'est qu'une illusion pour nous aider à surmonter l'angoisse de la mort. Ou encore un manque de courage pour affronter la dure réalité: c'est fini, plus rien ! La foi en une continuité, et non en une fin définitive, demande une autre sorte de courage, plus constructif, plus enthousiasmant que celui d'affronter le néant.

L'illustre physicien, Albert Einsteim, disait que lorsque deux solutions s'offraient à lui, il prenait la plus élégante, la plus belle, parce qu'elle se révélait toujours la plus vraie ... (1) Remarque intéressante et encourageante de la part d'un tel chercheur ! Pourquoi je ne l'imiterais pas devant l'alternative de la vie éternelle ou du néant ?

Par la foi, le terrible mur qui sépare le monde sensible de celui d'en-haut, laisse passer quelques lueurs. Aussi, par ces brèches, des paroles nous sont données (celles de la révélation). À moi de les saisir et de les comprendre. La foi ne supprime pas le mur opaque, il fait partie de notre condition terrestre, mais il devient moins épais, plus transparent, et les brèches plus nombreuses.

La connaissance de foi sera toujours liée à notre condition humaine, car notre Dieu est un "Dieu caché" dit le psaume. D'après l'Écriture, ce serait dû à une mystérieuse faute originelle qui fait que Dieu veut qu'on le cherche. C'est le lot de ceux qui, à la suite de nos premiers parents, sont sortis de l'Eden, avant le commencement de l'histoire.

(1) Cf. Citation rapportée dans "Corps, Âme, Esprit" de Michel Fromaget. Dans "Question de" numéro 87, page 46

vendredi 17 août 2007

Comme si j'étais seul !

"Vivez comme s'il y avait en ce monde que Dieu et vous, afin que rien d'humain n'enchaîne votre coeur".

Quel est ce misanthrope qui a bien pu écrire cela ? Fuir le monde et ses créatures; faire comme si les autres n'existaient pas ! Est-ce possible de dire des choses pareilles ? Ai-je bien compris ? Devant un tel langage, un peu choquant, il faut quand même se demander, avant de le juger, d'où il vient ?

Il vient de saint Jean de la Croix, déjà cité dans un précédent texte de ce blogue (1). Il est un des plus grands maîtres de la vie spirituelle au XVI siècle. Tout ce qu'il dit, il l'a vécu jusqu'au bout. Il est reconnu universellement, aussi bien dans le christianisme que dans les autres traditions spirituelles. Mais, était-il dans une phase de noirceur quand il a écrit cette maxime ?

L'auteur n'a jamais eu la moindre pensée négative par rapport à la création, dont il savait en chanter la beauté, et même se l'approprier après une phase austère de détachement: "A moi la terre, à moi les Cieux ..." Et, envers les créatures, il n'a jamais entretenu que des pensées d'amour. Son coeur en était tout brûlant.

Comprenons-le bien, il savait parfaitement comment la création pouvait être un moyen de s'élever vers Dieu. Il savait aussi comment les relations entre les humains, dans un amour fraternel, étaient importantes et ne pouvaient en aucune façon être négligées. Mais il n'ignorait pas non plus comment ces mêmes créatures pouvaient facilement donner le change et devenir pour nous des obstacles au progrès spirituel. D'où la nécessaire prudence d'un retrait par rapport à toutes ces choses bonnes en soi, mais que nous ne savons pas aimer d'un coeur détaché.

C'est donc à ce travail de détachement qu'il faudra d'abord s'atteler, avant de devenir et se sentir propriétaire véritable, et jouisseur libre, de tout ce que comporte la création. Là donc sera toute l'ascèse de ce qu'il appelle les "nuits". Nuit active ou purification du coeur par l'effort personnel. Nuit passive, ou purification que nous ne pouvons pas ou ne savons pas faire. Elle est accomplie par Dieu lui-même, du moins si nous collaborons et acceptons de nous laisser travailler par lui, à travers les épreuves de la vie.

Donc, "Vivez comme s' il n'y avait en ce monde que Dieu et vous", car c'est lui qui établit les relations sures et fécondes entre toutes les créatures afin qu'aucune d'entre elles n'alourdisse notre coeur et ne le rende esclave. Il dira aussi: "Qu'importe que l'oiseau soit attaché par un fils ténu ou par une grosse corde, de toute façon, il ne pourra pas s'envoler !"

(1) Cf. texte du 7 août 07, dans "Prendre le bon autobus".

mercredi 8 août 2007

Voir d'autres nouveautés ?

Un bon vieil ami parisien me fait part de son admiration pour les nouvelles découvertes. Il vient de rencontrer Françoise, sa marchande d'huîtres, et lui demande:
- Vous avez une voiture ? - Oui, avec GPS.
- Vous savez que maintenant certaines voitures peuvent se garer entre deux autres, toutes seules ?
- Oui, et puis aussi qu'elle ne peut démarrer si une porte est mal fermée. Ce n'est pas tout, elle ne démarre pas non plus si vous avez bu trop d'alcool !

Et lui, de conclure: "J'espère être encore vivant demain pour voir d'autres nouveautés !". Mais j'ai envie de lui dire: "Si tu n'es plus de ce monde demain, ne verras-tu pas encore des nouveautés encore plus admirables ? Pourquoi n'y penses-tu pas ?" Mon amitié pour lui me permet de lui suggérer ce petit reproche .

À 94 ans, je le trouve admirable de s'intéresser à tout ce qui se passe en ce monde, et aux progrès de la science. Le monde change tellement vite ! Mais je préfère encore le monde immuable, celui qui ne change pas, parce que, dans sa perfection, il n'a plus rien à changer. Et pourtant rien n'est lassant car tout est toujours nouveau. Ceux qui, dans un regard mystique, ont pu y jeter un coup d'oeil , nous disent que c'est inénarrable.

Vers ce monde nouveau, nous y marchons inexorablement, qu'on le veuille ou non. Et j'espère bien qu'on ne découvrira pas un jour une machine ou un médicament qui nous empêche de mourir. Je n'ai d'ailleurs aucune crainte à ce sujet ! Ce qui ne veut pas dire que j'ai hâte de mourir. Comme tout le monde, je veux ici-bas faire mon temps complet. La petite vie en ce "monde de découvertes" ne dépasse que rarement la centaine. Il paraît que ce ne sera plus le cas bientôt ! À mon humble avis, c'est suffisant pour moi. Et je suis heureux de ne pas avoir à en fixer l'échéance !

Comme mon ami, j'apprécie chaque jour qu'il m'est donné de vivre, même les plus sombres, en attendant des plus lumineux. Mais je crois que le temps de la petite vie est suffisant; car ce que je n'ai pas su améliorer en quelques décades, je ne le pourrai pas davantage dans un prolongement inutile. De toute façon, la perfection, bien qu'elle soit souhaitable, n'est pas nécessaire pour entrer dans le Royaume des Cieux. Il suffit d'y tendre. Donc, vive la grande Vie ! Celle où ayant retrouvé tous ceux et celles qui m'ont précédé, je serai enfin libéré de mes limites du temps et de l'espace. Là, je pourrai contempler la grande nouveauté: celle du Royaume de la Beauté et de l'Unité.

mardi 7 août 2007

Prendre le bon autobus ...

J'ai quelquefois l'impression d'être un peu compliqué et difficile à comprendre dans certains de mes exposés de ce blogue. Pas toujours, mais deux lecteurs me l'ont confirmé. Je ne peux que les remercier, car je n'aime pas être incompréhensible dans mes textes. Sans doute, ai-je été influencé par des auteurs compliqués qui, étant savants, s'adressaient à des gens comme eux. N'ayant pas leur science, je n'arrive pas à les simplifier. Mais ceci n'est pas une excuse. Alors, je me repens. Et j'essaie d'être plus compréhensible !

Je commence par un exemple simplet, qui serait presque une blague s'il ne comportait pas un message profond et important. Je l'ai raconté hier, lors de ma rencontre spirituelle hebdomadaire avec mes amis atteints de la maladie d'Alzheimer, à la maison Myosotis. Malgré leur handicap, leur sens spirituel reste bien intact, souvent plus aiguisé qu'on ne le pense. Ils ont très bien compris, et ils ont même ri; ce qui, pour moi, est le signe que je ne parle pas pour les murs.

Voici la petite parabole qui me vient de je ne sais où ? Un voyageur, ami du confort, un peu comme moi, va prendre l'autobus pour se rendre à Québec. Il arrive à la gare où se trouvent deux véhicules prêts pour le départ. Le premier est en partance pour Québec; c'est un vieil omnibus, lent, peu confortable et ne payant pas de mine. L'autre, tout au contraire, attend les derniers voyageurs pour Montréal; il est rapide, beau, luxueux, climatisé, etc. Notre voyageur, soucieux de son confort plus que de sa destination, sans réfléchir davantage, saute dans celui de Montréal, heureux d'être à l'aise. À-t-il pris la bonne direction ? Avec un peu de sagesse, il aurait pu encore réfléchir et changer d'autobus avant qu'il ne soit trop tard ... Mais non !

Ceci me rappelle une maxime de Saint Jean de la Croix: "Que vous sert de donner à Dieu une chose s'il vous en demande une autre ? Considérez ce que Dieu veut et faites-le". Considérez s'il vous veut à Québec ou à Montréal ? Quel est le bon autobus qui répond à votre but ? Prenez-le ... Très simple, oui ! Mais pas nécessairement facile ! Où est la difficulté ? Il y en a deux:
1-Comment savoir ce que Dieu veut ?
2-Avoir une volonté efficace de l'accomplir (surtout quand il s'agit de prendre le véhicule le moins confortable !).

On considère habituellement, avec raison, que le moyen de surmonter ces deux difficultés, est une attitude ouverte et attentive vers en haut, avec le souci habituel de faire la volonté de Celui qui nous conduit. Attitude de méditation, de prière et de foi. À chacun de trouver sa forme de relation avec le Haut ! Voilà, me semble-t-il, ce qui peut m'aider à choisir le bon véhicule et à me rendre à destination.

Heureusement que dans le véhicule de la vie quotidienne, en prenant conscience de mon erreur d'aiguillage, je peux en redescendre pour me relancer dans la bonne direction. C'est si simple ! Encore faut-il y penser et le faire !