mardi 31 juillet 2007

Intérieur et extérieur.

La bible peut se lire à plusieurs niveaux de compréhension. À côté du sens littéral et historique, il y a un sens spirituel symbolique, qui aide au cheminement personnel. Certains d'ailleurs ne se gênent pas pour ne garder que cette compréhension symbolique. et vont même jusqu'à nier le sens littéral historique. Mais les récits bibliques ne sont pas des légendes mythiques, bien qu'il y ait une utilisation du langage mythique dans la bible. Des auteurs ont déjà nié la réalité historique du Christ pour ne garder que son message spirituel: l'avénement du Christ intérieur en chacun de nous (1).

La compréhension symbolique de la bible, appuyée sur le sens littéral, trouve cependant toute sa raison d'être et son importance. La bible nous montre le peuple hébreu qui, du XIX ième au XIV ième siècle avant l'ère chrétienne, vivait en Égypte (2). Là, il s'est multiplié et est devenu une force de main-d'oeuvre que le pharaon d'Égypte a maintenue en esclavage. Parmi ce peuple, un homme choisi et instruit par Dieu, Moise, prend conscience des servitudes non seulement extérieures, mais aussi intérieures, qui rendaient ce peuple prisonnier de lui-même, de son "pharaon intérieur".

Sur un ordre divin, Moise décide alors de sortir le peuple hébreux de l'Égypte. Il le libère de l'emprise du pharaon, malgré l'opposition farouche de celui-ci. Et ce sera en même temps le début d'un long chemin de libération intérieure. Cet esclavage intérieure est toujours d'actualité pour chacun de nous. Nous avons tous notre "traversée de la mer rouge" et notre long cheminement au désert. Nous pouvons donc prendre les mots "hébreux" et "égyptiens" dans leur fonction symbolique, dans ce qu'ils représentent en nous et dans l'humanité entière.

"Toute situation extérieure est révélatrice d'un état intérieure" (3). L'extérieur révèle l'intérieur inconscient. K. G. Jung dira le même chose au sujet des rêves. Ainsi, si nous sommes animés par un vif désir de libération intérieure, nos situations extérieures tout comme nos rêves, peuvent nous aider à nous défaire de nos chaînes.

(1) C'est ainsi que le comprend Tom Harpur, dans son livre: "Le Christ paien". Pour lui, la figure de Jésus de Nazareth, n'est qu'une invention des premiers siècles du christianisme.
(2) Cf. L'exode, chapitre 1 et suivants.
(3) Annick de Souzenelle. J'ai suivi quelques unes de ses sessions, ici au Québec. Elle est plus facile à comprendre quand elle s'exprime oralement, que dans ses écrits, souvent difficiles; elle le reconnaît d'ailleurs elle-même. Quelques uns de ses livres : "Le symbolisme du corps humain" 1984, rééd. en 91 en livre de poche; "La Lettre, chemin de vie" 1987; les quatre tomes: Alliance de feu; et "L'Égypte intérieure, ou les dix plaies de l'âme" 1991.

vendredi 20 juillet 2007

Musique et peinture

Entre Montréal et Trois-Rivières, se tient actuellement le festival de musique classique de Lanaudière (7 juillet au 5 août 07). J'ai eu le bonheur d'être l'auditeur de quatre concerts à l'amphithéâtre de Joliette en pleine nature, et dans les églises de Lavaltrie et de Saint Sulpice. J'ai pu y entendre des musiciens de réputation internationale: Anton Kuerti (piano); James Ehnes (violon); Alain Lefèvre (piano); etc. Maîtrisant parfaitement leur instrument, ils peuvent donner libre cours à l'inspiration.

Certains artistes réussissent à vaincre les résistances au souffle de l'inspiration. Le talent, pour se manifester pleinement, ne supprime pas l'effort ardu; il le rend possible et le soutient par l'enthousiasme et la passion de la beauté. L'artiste accompli, dans n'importe quel art, doit être ouvert au souffle de l'inspiration qui le guide. Voici comment K. G. Durckheim (1) décrit la fidélité à ce souffle et l'aisance qui s'ensuit dans l'exécution, chez un artiste oriental, en train de dessiner. La même attitude pourrait se retrouver en musique. Durckheim rapporte cette anecdote dans "Hara, Centre vital de l'homme". Lors de la visite d'un cloître japonais à Kyoto, en 1945, il rencontre le Maître Hayashi, abbé d'un célèbre monastère Zen. Voici ce qu'il écrit:

"Au terme d'une longue et fructueuse conversation ... le Maître me dit: 'Je voudrais vous faire un petit cadeau. Je vais vous peindre quelque chose' ... Sur une nappe recouverte d'un tissu rouge, on plaça une feuille très mince de papier de riz de 60 x 20 cm, maintenue en haut et en bas par une barre de plomb. Puis on apporta les pinceaux et l'encre. Il s'agissait en fait d'un bâton d'encre de Chine que l'on transforme en encre liquide en le frottant légérement contre les parois d'une pierre noire évidée contenant un peu d'eau.
Avec le plus grand calme et tout le cérémonial requis, comme s'il avait infiniment de temps - et un Maître a toujours intérieurement un temps infini - l'abbé se mit à préparer son encre. D'un mouvement régulier de la main, il frotta jusqu'à ce que l'eau noircisse. Étonné de le voir faire ce travail lui-même, je demandais pourquoi il en était ainsi. Sa réponse fut très significative: 'Grâce au tranquille mouvement de va-et-vient de la main qui prépare l'encre avec soin, un grand calme gagne tout votre être et c'est seulement d'un coeur parfaitement calme que peut naître quelque chose de parfait.'... Enfin, tout fut prêt... Il s'assit sur ses talons, le corps bien droit ... saisit le pinceau. Pendant un instant, il fixa le papier, le regard comme perdu à l'infini. Puis, il sembla s'ouvrir de plus en plus vers l'intérieur et attendre que l'image qu'il contemplait sorte librement, comme d'elle-même. À aucun moment, il ne me sembla hanté par la crainte de ne pas réussir son projet, ou encore par le désir ambitieux de réussir à tout prix. Et le résultat fut le témoignage d'une maîtrise qui exprimait bien davantage que la maîtrise parfaite d'une technique.
Des traits sûrs du pinceau naquit peu à peu l'image d'une Kwannon, déesse de la charité divine. Il traça d'abord le visage, par une série de traits fins: puis, en appuyant davantage, il peignit le vêtement et les pétales de la fleur de lotus sur laquelle la déesse se tient assise. Ensuit vint le moment qui m'incite à rapporter cette anecdote. Le moment où le Maître se mit à dessiner le nimbe qui entoure la tête de la Kwannon, c'est-à-dire à dessiner un cercle parfait. Tout ceux qui étaient présents retinrent leur souffle. Cette manifestation d'une liberté souveraine dépourvue de toute crainte, dans l'accomplissement d'une action dont la perfection ne saurait être troublée, représente toujours une expérience émouvante. Il faut dire que sur ce papier de riz d'une extrême finesse, le moindre arrêt du pinceau, la moindre hésitation, produisent une tache qui gâche tout. C'est donc sans s'arrêter que le maître trempa son pinceau dans l'encre, le frotta légèrement, enleva le liquide superflu, puis, comme s'il s'agissait de la chose la plus simple au monde, dessina d'un seul mouvement le cercle parfait, symbole de la pureté divine rayonnant de la déesse. Ce fut un moment inoubliable. La pièce entière s'était remplie d'un calme bienfaisant; le calme qui habitait le Maître émanait tout simplement du cercle parfait qu'il venait de dessiner.
Quand Maître Hayashi me remit la feuille, je le remerciai et lui demandai: 'Comment fait-on pour devenir un Maître ?' Il me répondit en souriant: 'Il suffit de laisser sortir le Maître qui est en nous. Oui, c'est tout simple, il faut le laisser sortir.'

Je ne sais pas si les musiciens du festival mettaient en pratique, à leur manière, la méthode de ce maître japonais. Leur musique, en tout cas, me rappelle cette anecdote. J'ai eu la chance de saluer, le lendemain au restaurant, lors du déjeuner, le jeune violoniste James Ehnes. Il me semblait être dans cette lignée d'inspirés.

Un art parfaitement maîtrisé donne une impression de facilité. Ce qui est vrai pour l'exécutant mais, avant d'y arriver, il y a un long chemin à parcourir: celui de la pratique quotidienne, avec une volonté soutenue, jusqu'à ce que la technique soit acquise. Alors, dira Durckheim, l'exécutant 'pourra relâcher l'emprise de son Moi, qui constitue un obstacle sur la Voie, aussi bien par l'ambition et le désir de briller que par la crainte d'échouer ... l'ennemi le plus tenace est le Moi ambitieux qui empêche la parfaite manifestation du savoir-faire'

Ne pourrait-on pas faire ici une transposition dans toutes les activités de notre vie ? C'est bien ce que nous laisse entendre Durckheim lorsqu'il affirme: 'L'homme qui a ressenti cette force venant de son être essentiel, dans quelque domaine que ce soit, qui a appris à s'y abandonner, se trouve au début d'un chemin sur lequel il avance, mû par un sentiment tout nouveau de piété et de liberté"

(1) Cf. sur ce blogue du 1 août 06: "Au-delà de l'absurde".

lundi 16 juillet 2007

Perfection

Nous rêvons tous, si nous ne sommes pas coupés de notre Source, de perfection. Non d'une perfection personnelle, qui fait de nous des travailleurs à bon rendement, ni de perfectionnisme. Mais nous aspirons à un idéal de Beauté, de Bonté, de Vérité, de Justice. Par les majuscules je veux souligner l'absolu de cet idéal. Perfection de l'unité où "tout ensemble fait corps" et fonctionne bien. Ceci est inconcevable en dehors d'une communauté d'amour où tous sont nourris à la même Source.

Nous souffrons de voir la misère humaine, physique ou morale, qui entraîne l'incompréhension, les guerres, les séparations, les souffrances de toutes sortes. Notre rêve est loin d'être une réalité. Une petite consolation cependant: la possibilité, pour chacun de nous, de tendre, à notre façon, vers cet idéal. Il est ancré en nous comme une espérance. Certains voient sa réalisation en ce monde, en imaginant une société parfaite qui, un jour, sera. Mais quels que soient les progrès, l'être humain aura toujours sa finitude. Notre espérance se porte alors vers les générations futures, comme étant notre prolongation: eux, au moins, verront cette perfection que nous ne pouvons pas encore voir ! Je ne peux pas croire que notre espérance n'aille pas au-delà d'une espérance terrestre.

Je regardais ce matin, aux nouvelles, le départ de soldats québécois pour l'Afghanistan et l'adieu émouvant à leur famille. Ce qui les soutient et les motive est le désir d'une paix durable en ces lieux de combat. Beaucoup n'approuvent pas ces départs, refusant la paix par la guerre. Mais comment blâmer ceux qui, généreusement, acceptent d'affronter le danger. Dans nos aspirations vers le bien, nous sommes divisés sur les moyens à utiliser. Ces divergences soulignent comment ce monde ne peut être le lieu de la perfection espérée.

En ce jour du 16 juillet, fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, la foi chrétienne nous montre une Perfection réalisée, comme en attente de la nôtre. Sur la Montagne du Carmel, en Palestine, là où le sang coule, Marie pendant des siècles a été vénérée. Elle est proclamée Immaculée, sans tache. La Mère du Christ, Modèle parfait, est cette Perfection mystérieuse à contempler, celle vers laquelle nous tendons. "On devient ce que l'on contemple" disent les orientaux.

samedi 7 juillet 2007

Orient

Sous ce titre d'Orient, je ne veux pas parler d'un lieu, le Soleil levant, mais plutôt évoquer une sagesse traditionnelle qui y est vécue. Deux maîtres occidentaux reconnus: K. G. Durckheim (1) et Arnaud Desjardins, ont su me la faire découvrir: il y a une Réalité invisible, Une, accessible d'une certaine façon en ce monde, surpassant infiniment celle qui est perceptible par nos sens; mais elle n'y est pas étrangère. Bien qu'occidentaux, Arnaud Desjardins et K.G. Durckheim enseignent avec compétence une sagesse orientale.

Arnaud, pendant quelques années (1965-1974) a reçu de celui qu'il appelait familièrement "Swamiji", (Swami Prajnanpad) tout un enseignement traditionnel. Dans son Ashram du Bengale, il a su l'assimiler, le vivre, et le rendre accessible à notre monde occidental, comme le prouve le succès de ses livres. Après les avoir lus, j'éprouvais le désir de rencontrer Arnaud; désir qui s'est plusieurs fois réalisé, puisque j'ai pu participer à quelques unes de ses sessions, ici au Québec, et en France, à son Ashram, alors à Font d'Isière. C'est Arnaud qui m'a fait connaître k. G. Durckheim (1) que je n'ai pas rencontré personnellement.

L'occident chrétien reconnaît aussi cette Réalité et la vit à sa manière, mais d'une façon peut-être moins accrochante pour la mentalité moderne. Arnaud et Durckheim nous donnent des directives simples, facilement mises en pratique dans le quotidien par les "chercheurs de Dieu". Selon moi, cet enseignement ne s'oppose pas à l'essentiel du message biblique. Quoique quelques querelleurs trouveront ici et là, des points de disputes, histoire de pimenter la recherche et les débats. Mais les deux messages, bible et Orient, viennent d'en-haut, et se complètent.

Au sujet de cette Réalité invisible, pour nous montrer sa "non-dualité", Arnaud donne une image simple: celle de la mer et des vagues. Nous (les vagues), nous sommes tous un (la mer), mais dans un réseau de relations. Nos problèmes sont dus au fait que nous vivons trop dans la distinction du moi et de l'autre (le non-moi). Cette distinction est réelle, elle fonde nos personnalités différentes; mais il ne faut pas la durcir. "Nul n'est une île" disait Thomas Merton.

Arnaud cite Héraclite, ce philosophe grec qui, cinq siècles avant J.C écrivait: "Les hommes qui dorment vivent encore dans deux mondes, ceux qui sont éveillés vivent dans un monde". On parle souvent du "mental". Expression péjorative qui signifie ici une façon erronée de fonctionner de notre intelligence. Il est comme une excroissance de l'intelligence. Le propre du mental est de créer un second, c'est-à-dire de nous faire vivre en deux mondes. Il crée un monde parallèle au monde réel; il compare et souvent refuse le réel pour choisir le monde illusoire de sa fabrication. Ce mental est appelé à disparaître; ou à être purifié, ce qui est la même chose. Après notre mort physique, le mental ne sera plus là. Ou avant, si nous y travaillons !

Tout ceci n'est que pour inviter à lire les livres d'Arnaud Desjardins. J'en donne en note quelques titres (2).

(1) Cf. sur ce blogue, texte du 1 août 06, "Au-delà de l'absurde".
(2) Cf. Arnaud Desjardins, "Les chemins de la Sagesse" tomes 1 à 3; "Le Vedanta et l'inconscient"; "Au-delà du moi"; "Tu es Cela"; etc. Aux éditions de "La table Ronde"