samedi 24 novembre 2007

Pas de réponse ...

Un ami, après avoir donné des nouvelles à ses proches, sur Internet, s'exprime ainsi : " Je ne sais pas écrire mais, au prix de l'effort, je le fais quand même. Je croyais faire plaisir, distraire mes amis, leur apporter quelque chose d'intéressant, il n'y a jamais trop de contacts humains. Trop peu m'ont répondu; alors j'arrête. À part quelques uns, ils ne méritent pas mon amitié..."

Je vois là, un grand désir d'amitié, mais déçu. Que faites-vous, vous ne répondez pas ? Il est vrai que nous n'avons pas tous la même sensibilité. Nous trouvons aussi une réaction semblable dans l'évangile de Luc 7, 32 : "Nous avons joué de la flûte, et vous n'avez pas dansé ! Nous avons entamé des chants de deuil, et vous n'avez pas pleuré !"

Il n'y a jamais trop de contacts humains, dit-il ! Peut-être ! Mais quelle est la qualité de ces contacts ? Il y en a tellement qui sont superficiels. Il y a des contacts silencieux, plus profonds que beaucoup d'échanges de paroles. On ne sait pas ce qui se passe dans le coeur de l'autre pendant son silence. Il faut respecter ce silence, laisser mijoter !

L'insatisfaction de cet ami peut facilement être transposée dans notre vie quotidienne. Nous pouvons la ressentir devant l'indiférence ou le rejet de ce que l'on fait. Vite, on en conclut: à quoi ça sert ? Ne faudrait-il pas plutôt se demander: pourquoi je fais telle chose ? Qu'est-ce qui m'empêche de la continuer ? Mon action doit-elle toujours avoir un résultat tangible, ou mon oeuvre un admirateur ? Le stimulus, une réponse ? La réponse n'est peut-être pas toujours au niveau où nous la cherchons. Avec le recul, je peux voir maintenant comment certains de mes échecs furent vraiment des réussites !

L'action, si elle est juste, ne peut-elle pas avoir sa justification en elle-même ? Ne serait-ce que pour ma propre satisfaction; et pas nécessairement un désir altruiste ! Ne faut-il pas aimer son prochain comme soi-même ? Depuis longtemps, de nombreuses années, je joue de la flûte. J'ai toujours éprouvé le besoin de souffler dans un tuyau : trompette, flûte à bec, flûte traversière ... Je joue donc, mais pour moi d'abord ! Comme on fait une promenade pour le simple plaisir. S'il arrive qu'une oreille attentive s'en trouve charmée, tant mieux ! Je m'en réjouis.

On dit quelquefois, sans doute pour se disposer à ne pas être déçu, qu'il ne faut pas avoir trop d'attentes. Certains s'endurcissent et semblent ne plus être touchés par l'indifférence ou la critique. Je pense aux politiciens, à ceux qui se risquent de donner leurs opinions dans les médias, ou montrer leurs oeuvres dans le public, artistes, créateurs, etc. Au moins, ils ont réussi une chose: faire ce qu'ils aimaient faire. Puis l'oeuvre fait son chemin. L'attente discrète, cachée au fond de nous, sera peut-être satisfaite. Ou bien, elle s'évanouira.

D'autres exultent devant les applaudissements. Ainsi, ils continuent à travailler, comme sans efforts, portés par une énergie intérieure, mais provoquée par l'extérieur: le succès. Mais quand il n'est plus là ?

L'absence du succès n'est d'ailleurs pas un signe d'échec. Pourquoi voir les applaudissements comme le critère de la réussite ? L'histoire nous apprend souvent le contraire. Il y a des réussites posthumes. L'action met quelquefois longtemps avant de produire en effet visible. Ceux qui ne veulent pas faire de la démagogie, savent bien qu'ils ne seront pas toujours populaires à vouloir réaliser certains projets exigeants, longs à prendre forme.

Sur quoi vais-je alors m'appuyer pour persévérer ? Car, il faut bien le reconnaître, l'encouragement extérieur est souvent une force motrice non négligeable. À mon avis, je ne vois pas d'autres points d'appui que moi-même et l'amour de la vérité. Ce souci de la vérité est rassembleur et passionnant. Il crée des amitiés, même avec des convictions différentes. Voilà où m'a conduit les remarques d'un ami découragé de ne pas avoir de réponses !

samedi 17 novembre 2007

Anarchie

Voici un mot qui évoque plutôt le désordre, le mépris de la loi. Dans une réflexion que j'ai écoutée dernièrement à Radio Ville-Marie, Yves Girard, trappiste de l'abbaye d'Oka (1), l'emploie dans un sens qui peut déconcerter nos façons de penser. Bien sûr, il s'inspire de l'évangile qui n'est pas toujours notre modèle. Il parle de l'anarchie de l'amour, celle du coeur. "L'amour doit se soumettre, dit-il, à la loi de son propre coeur, et non à la loi extérieure" qui va si souvent à l'encontre de celle du coeur. Ce paisible moine veut-il encourager la désobéissance civile ? Ce n'est sans doute pas son intention première. Mais la société, (et toute l'humanité), si elle se soumet à cette loi du coeur, marche vers sa libération des injustices, et vers son ordre véritable. Et il cite quelques paraboles de l'évangile:

1- La parabole des ouvriers dans la vigne (2). Jésus montre que ceux qui n'ont travaillé qu'une heure, parce qu'embauchés au dernier moment, reçoivent du patron le même salaire que ceux qui, toute la journée, ont supporté un dur labeur. Il y a des plaintes. L'employeur répond: "Faut-il que tu sois jaloux parce que je suis bon". Quelle injustice ! Que fait-on de la loi de la juste rétribution ?

2 - De même dans la parabole de l'enfant prodigue (3). Le fils aîné, travailleur acharné et fidèle sur les terres de son père, se sent lésé en voyant son père favoriser son frère cadet qui, après avoir abandonné la maison paternelle pour aller faire la bamboula, y revient repentant. Au lieu de le punir, le père organise une fête pour se réjouir de son retour. Quant au fils fidèle, jaloux, il reçoit une remontrance de son père pour refuser d'entrer dans la fête. Quel père ingrat ! N'y a-t-il pas une loi qui veut qu'on encourage le travail et la fidélité ?

On trouverait encore dans l'évangile, d'autres exemples de la gratuité de l'amour. Dans la maison du Père (le Royaume des Cieux) faire valoir sa propre justice et ses mérites est "un langage irrecevable; et il est odieux de faire des comparaisons. Les élans spontanés de l'amour sont gratuits. On ne peut pas faire appel à nos réussites et à notre justice, pour mériter l'amour ... il a toutes ces conditions en horreur !"

La mort biologique dépouille de tout. "En entrant dans le Royaume des Cieux, précise Yves Girard, nous ne serons plus que le pauvre qui doit tout recevoir. Le salut est gratuit. Et cependant nous persistons à vouloir le mériter, comme si le visage de l'enfant que nous sommes, ne suffisait pas, à lui seul, à faire toute la joie du Père".

Si je comprends bien, nous déformons ce visage en voulant l'embellir. Il suffit qu'il retrouve toute sa beauté originelle. Un peu comme ce tout jeune enfant qui, n'ayant pas pris conscience de sa beauté, ne l'a pas encore défigurée.

Voilà ce que j'ai pu retenir de la méditation d'un sage. et qu'on peut retrouver dans la lecture de ses livres. (1)

(1) Yves Girard, auteur de nombreux livres. Entre autres, chez Anne Sigier: Lève-toi; Resplendis ! - Aubes et Lumières - Les injustices de l'amour - Solitude graciée - Etc.
(2) Évangile de St. Matthieu 20, 1-16
(3) Évangile de St Luc 15,11-31

vendredi 9 novembre 2007

Questionnement

Si le soleil se lève le matin, quoi de plus naturel ? Dieu y est-il pour quelque chose ? De même si le pommier donne ses pommes, ne fait-il pas simplement son boulot ? On ne prie ordinairement pas pour que le soleil se lève, ni pour que l'arbre donne ses fruits. C'est conforme aux lois de la nature, ça va de soi ! Devrais-je en être spécialement reconnaissant ? Et envers qui ?

Il est vrai que la nature a une certaine autonomie. Le savant découvre ses lois: celles de l'astronomie, de la physique, de la génétique, etc. Et il les énonce clairement. Cela supprime-t-il le Mystère impénétrable des origines ?

D'où vient la sagesse des lois naturelles ? La nature n'est-elle pas, même pour un expert de la physique quantique, un des lieux privilégiés de rencontre avec le Mystère ? Sans cette rencontre, la prière est-elle possible ?

Dans une prière qu'on appelle de demande, et qui semble exaucée, il est vrai que l'événement aurait bien pu se produire sans elle. Ainsi dans une guérison (parce que j'ai un bon médecin), ou une réussite à un examen important (parce que j'ai étudié fort) ou un succès dans une entreprise quelconque (parce que la conjoncture était favorable). La prière semble bien alors se greffer artificiellement à l'événement, comme pour y ajouter une cause inutile de réussite. Que vient-elle faire ?

Ne serait-il pas préférable de voir la prière comme une ouverture du coeur à une réalité qui me dépasse, capable de transformer mon être profond ? En me tenant simplement sous le regard aimant et transformant de Dieu ?

"Je ne crois pas, disait Etty Hillesum (1), que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur, que nous n'ayons d'abord corrigé en nous " La prière ne pourrait-elle pas être un moyen de corriger en nous ce qui a besoin de l'être, et ainsi d'avoir des répercutions bénéfiques sur le monde extérieur ? Ce qui n'exlut pas, bien sûr, le travail de nos mains et de notre intelligence !

Par la prière, je peux demander, frapper à la porte, insister... mais est-ce avec le désir de changer le vouloir de Dieu à mon égard ? Ou, au contraire, de me laisser transformer par lui et accueillir ce qu'il veut faire de moi ? Il n'a d'ailleurs pas besoin d'être informé par mes demandes, mais il est peut être bon, pour moi, de les formuler !

(1) Cf. fin du texte précédent (1 nov.) et les références à Etty Hillesum.

jeudi 1 novembre 2007

Exaucement

Objection: "Vous avez pu remarquer que la prière n'a pas d'effet. J'en ai fait l'expérience quand j'étais jeune. Si on a été exaucé, on dit merci mon Dieu, alors qu'il n'y est pour rien. Il y a de nombreux pauvres, innocents, qui souffrent le martyre, et Dieu qui peut tout, laisse faire. Ça ne le concerne pas".

Ce n'est pas la première fois que j'entends cela. Le silence de Dieu devant la souffrance est souvent la cause avouée de la non-croyance. Comment interpréter ce silence ? Il n'y a pas de réponse claire, rationnelle, comme nous aimerions en avoir. Et je ne sais si l'incroyance disparaîtrait si toutes nos demandes au "Tout Puissant" étaient exaucées ...

Nous comprenons très mal cette toute puissance divine. Ce n'est pas nouveau. Déjà il y a 2000 ans, près du Christ en croix, on entendait les passants dire : "Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix ! Il en a sauvé d'autres, il ne peut se sauver lui-même ! Qu'il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui ! " (1) De cette non intervention de Dieu, on conclut vite à son indifférence au sort des hommes, ou tout simplement que Dieu n'est pas !

La foi met en nous une certitude: notre requête est entendue; celui qui la reçoit y est sensible; on ne s'adresse pas aux murs. Nous lisons en effet dans l'évangile: " Demandez et l'on vous donnera; cherchez et vous trouverez; frappez et l'on vous ouvrira. Car quiconque demande recevra; qui cherche trouve; et à qui frappe, on ouvrira ... Si vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui l'en prie !" (2)

Devant la constatation d'un exaucement, on peut toujours dire: "Dieu n'y est pour rien !" Mais par quelle pirouette intellectuelle réussit-on à concilier l'efficacité de la prière avec le non exaucement ? Voilà la pierre d'achoppement.

C'est que l'exaucement se situe à un niveau supérieur au nôtre. Ceux ou celles qui en ont fait l'expérience ont pu constater que l'exaucement peut souvent prendre une forme bien différente de celle que l'on pensait ou voulait. La pratique de la prière donne cette aptitude à discerner l'exaucement là où il se trouve, ou bien l'espérance confiante qu'il se manifestera d'une façon ou d'une autre. Mais déjà, avant l'exaucement, le seul fait de prier conforte ma relation avec Celui auquel je m'adresse.

Reste la grosse question: devant le mal (ou ce que je considère comme tel ) pourquoi Dieu, bon et tout puissant, n'intervient-il pas, et le plus tôt possible ? En dehors de la foi, la conclusion nous vient tout de suite: ou Dieu n'est pas bon, ou il n'est pas tout puissant, ou il n'existe pas ! On est habitué à ces syllogismes.

J'ai déjà essayé d'aborder ce sujet délicat quelque part dans ce blogue. Je voudrais aujourd'hui en reparler à partir de ceux qui ont vécu à fond leur expérience. Il y en a beaucoup dans le christianisme, mais c'est à une juive hollandaise de 29 ans que je me réfère maintenant, car l'Esprit de Dieu agit partout où il veut, sans distinction d'appartenance à telle ou telle tradition. Il s'agit d'Etty Hillesum. Morte à Auschwitz en 1943, assez bien connue aujourd'hui, elle laisse des notes personnelles et des lettres que l'on retrouvera dans un ouvrage posthume: "Une vie bouleversée" (3). Femme moderne, elle s'est proposée "d'aider Dieu" dans l'enfer des camps d'extermination . Elle, "la fille qui ne savait pas s'agenouiller", a appris à se tourner vers les réalités spirituelles et à prononcer le nom de Dieu. Elle finit par dire : "Je ne hais personne, je ne suis pas aigrie. Une fois que cet amour de l'humanité a commencé à s'épanouir en vous, il croît à l'infini" .

Nous savons que Dieu ne veut pas le mal. Mais il ne le supprime pas d'un coup de baguette magique. Il a besoin de nous. Il veut que nous commencions à le corriger d'abord en nous. C'est notre façon "d'aider Dieu".

Devant la barbarie des camps d'extermination, Etty dira crûment: "La saloperie des autres est aussi en nous. Et je ne vois pas d'autres solutions que de rentrer en soi-même et d'extirper de son âme toute cette pourriture. Je ne crois plus que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur, que nous n'ayons d'abord corrigé en nous. L'unique leçon de cette guerre est de nous avoir appris à chercher en nous-même et pas ailleurs ".

L'objection me suggère ces quelques pensées. Ce n'est qu'une piste de réflexion au sujet de l'exaucement. Nous trouvons sur Internet un résumé de sa vie, et ce qui a été publié à son sujet. Il suffit d'inscrire le nom d'Etty Hillesum sur Google, et de cliquer sur les sites qui nous intéressent.

(1) Évangile de Matthieu 27, 38-44
(2) Matthieu 7, 7-11
(3) - "Une vie bouleversée", éd. du Seuil, 1985. Et lettres de Westerbork. Les deux textes sont disponibles dans la collection "Points-Seuil" 1995
"Etty Hillesum" de Sylvie Germain, éd. Pygmalion/ Gérard watelet, 1999
"Portrait d'Etty Hillesum", de Ingmar Gransted, éd. Desclée de Brouwer, 2001
"Etty Hillesum", un itinéraire spirituel, du Jésuite Paul Lebeau, éd. Albin Michel coll. "spiritualités vivantes", 2001