jeudi 31 janvier 2008

L'autre rive

Une analogie de la mort, entendue dernièrement lors du décès d'un ami, a retenu mon attention. La voici:

"Un bateau s'en va, il va quitter notre rive. Pour nous qui sommes sur cette rive, nous voyons les passagers du bateau qui nous quittent. Cela nous rend triste. Mais pour ceux qui sont de l'autre côté, quelle joie de les voir arriver ! Et, pour ceux qui sont partis, après la tristesse des adieux à ceux qu'ils aiment et qui les aiment, quel bonheur de découvrir enfin ces horizons infinis, horizons infiniment plus beaux que ceux qu'ils ont laissés ici sur notre rive. Et voilà qu'en pensant au bonheur qui les attend, nous oublions notre tristesse, notre peine, et que nous nous réjouissons de les savoir plus heureux qu'ici. Notre rive à nous, c'est la terre. L'autre rive où ils parviennent, c'est le ciel. C'est ça, la mort. Il n'y a pas de morts, mais des vivants sur les deux rives." Joseph Rabine (1)

Cette image du bateau n'est sans doute pas recevable par tout le monde de la même manière. Elle peut même être perçue comme une vaine consolation. Cependant, pour tous, je trouve qu'elle évoque une traversée vers une destination mystérieuse et inconnue. Un départ sans retour possible qui fait naître un double sentiment: crainte de l'inconnu, et fascination du nouveau.

Quelques expériences de jeunesse, m'aident à comprendre cette contradiction: la coexistence de la crainte et de l'attrait. Nous avions entre copains un certain goût du risque. Il fallait se créer des émotions. Quelques grottes de la région allaient nous les procurer. Elles nous fascinaient et aiguisaient notre curiosité. Qu'y a-t-il dans le fin fond de ces antres ? L'imagination aidant, toute sortes de craintes nous habitaient à la pensée d'entreprendre une exploration. L'attrait fascinant de l'inconnu nous aidait à en vaincre la peur.

Quand la mort approche, l'image de l'autre rive prend toute sa signification: prendre un bateau qui ne reviendra pas. Un certain stoicisme nous aidera à accepter ce que la nature impose, et donc à ne pas trop manifester la peur. Mais la foi, mieux que le stoicisme, apporte quelques indices sur ce qui nous attend dans le port d'accueil. Cependant, la foi n'est pas la vision. Et l'espérance d'une destinée heureuse n'est pas encore sa possession. D'où l'inévitable épreuve de l'appréhension.

Avant le départ du bateau encore amarré à cette rive, on m'encourage: N'aie pas peur ! ... Tu vas retrouver ceux qui t'attendent ... Là, plus de souffrance, ni de mal ... etc. Oui, tout cela est bien beau, mais ... Où vais-je accoster ? Qu'est-ce que ce corps spirituel, qui va remplacer celui, bien concret, que je laisse de ce côté ? Nous sommes tous acculés, un jour ou l'autre, à ce genre de questionnement essentiel. On aimerait, dès maintenant, en avoir une réponse ferme. Et pourtant, elle ne nous sera pas donnée, sur cette rive, avec une évidence mathématique.

La foi vive et la force de l'espérance peuvent anéantir, ou du moins atténuer la crainte. Ce qui fait dire à certains : ceux qui espèrent un paradis dans l'au-delà, sont ceux qui n'ont pas le courage d'affronter la mort et la perspective du néant. Je ne partage pas cette interprétation.

Bien que la peur puisse être présente, ce n'est pas elle qui pousse d'abord le croyant à espérer. C'est la confiance au Dieu vivant qui nous a promis de nous donner sa "Vie en abondance" (Jean 10,10) et cela gratuitement ! Car, en fin de compte, comme disait Thérèse de Lisieux, en arrivant sur l'autre rive, "nous nous présentons les mains vides". De toute façon, avec ou sans espérance, le bateau arrivera sur l'autre rive !

(1) On trouvera cette citation sur le lien suivant (en bas de la page qui s'affiche):
http://www.notredamedelapaix.fr/modules/news/article.php?storyid=191
(2) Cf. Jean 10,10; Jean 4,14

jeudi 24 janvier 2008

Désirs

"Tous les désirs qui me distraient de Toi, jour et nuit, sont faux et vides. C'est Toi, Seigneur, que je veux, Toi seul". Voilà ce que disait Rabindranath Tagore, ce poète hindou, mystique et musicien (1841-1941).

http://pagesperso-orange.fr/alainjoly1/poemes06.htm

Bouddha, cinq siècles avant J.C, voyait dans les désirs, la source de la souffrance. Plus exigeant encore que Tagore, il dira: "Dépouille-toi de tout désir, même du désir de Dieu ... À la sérénité que tu éprouveras alors, tu connaîtras l'ultime Réalité". On est loin ici de la société de consommation qui nous pousse à convoiter tant de biens. En avivant nos désirs de choses plus ou moins utiles et encombrantes, elle nous "distrait de l'essentiel".

Mais, nos désirs sont-ils tous "faux et vides" ? Ce n'est pas ce que dit Tagore. Sont faux, seulement ceux qui me distraient de Toi. Il y a donc de bons désirs qui n'ont pas cet effet pervers ! N'est-ce pas une bonne chose que de désirer Internet pour m'exprimer sur ce blogue, pour trouver tant d'informations et communiquer rapidement ? Et le désir d'avoir une voiture pour me déplacer, et même, pourquoi pas, le désir d'un bon verre de vin, ou d'une ballade en kayak ? Je me sens quelquefois une âme d'épicurien !

Cependant je ne contredirai pas Tagore, ni Bouddha. Mais, avant de savoir qu'un désir est faux et vide, il nous faut souvent expérimenter sa nature. Ainsi on peut en avoir la conviction. L'expérience des faux désirs nous permet ensuite de nous orienter vers l'essentiel. Tagore l'appelle "Toi". Il fut un temps où, amateur de musique de J.S Bach, j'avais le désir d'enregistrer tout ce qui passait de lui à la radio. Bien vite, je me suis retrouvé avec un tas de cassettes enregistrées, incapable de trouver le temps de les réécouter. Les exemples de ce genre pullulent. Un jour ou l'autre, ce sentiment de vide que laisse le faux désir, finit par produire son effet: compris ! Ce que j'ai désiré, n'était pas désirable. Le désir était faux, incapable de me combler. Il me laisse un sentiment de vide. Je dois me tourner vers autre chose. C'est de bonne pédagogie !

Selon l'esprit avec lequel on aborde ces textes de Tagore ou de Bouddha (et bien d'autres), ils peuvent paraître soit déconnectés du réel, ou d'une profondeur admirable. On trouve aussi dans l'évangile des textes semblables, d'une même profondeur. Pour notre esprit rationnel, ils sont tout aussi difficiles et quelquefois contradictoires.

L'être humain, de par sa nature, est un être de désir; c'est incontestable. Bouddha, en fait, voulait n'en garder plus qu'un : non pas le désir de Dieu mais celui, contradictoire, de n'en avoir aucun ! Sans doute voyait-il dans le désir de Dieu, une convoitise qui devenait un obstacle à son cheminement. Comme si, pour trouver Dieu, il fallait y renoncer. Il y a là une vérité que l'on retrouve assez souvent dans la vie courante: une chose, une situation, nous est donnée, lorsque nous cessons de la convoiter.

Les biens désirés, quand ils sont faux et vides, une fois possédés, ne nous comblent pas vraiment. Le désir se porte alors vers autre chose, sans satisfaire notre véritable besoin qui en est un d'absolu. Ainsi sommes-nous faits, pour les grands espaces !

jeudi 17 janvier 2008

Au gré des courants

Pour les montgolfières, il y a un art de savoir prendre les courants, et de s'en servir pour évoluer dans les hauteurs. Les pilotes des aérostats savent comment les exploiter, et les goélands semblent bien en avoir la science innée. Ils planent dans les airs avec d'autant plus d'aisance qu'il n'ont pas à réfléchir.

Aurions-nous, comme eux, ce savoir faire ? Oui, je crois que nous sommes faits aussi pour obéir au souffle du vent, de l'esprit, du "pneuma". Tout ça, c'est la même chose. C'est par ce souffle de l'Esprit que nous sommes menés. Et souvent, probablement à notre insu.

Sommes-nous alors les auteurs responsables de nos actes ? Sans doute, mais je ne sais pas dans quelle mesure ! Il y a en nous un souffle intelligent, infiniment plus vaste que notre être individuel. Souffle universel, multiforme, "qui remplit tout", et qui nous mène où il veut. Ce qui fait que nous sommes des instruments "à vent" et "à voile" ! Car il faut les deux: la force motrice et la voile qui la capte.

Serions-nous de simples instruments ? Perdons-nous pour cela notre liberté ? Ce serait bien rabaisser l'être humain que de le penser. Nous ne sommes pas des marionnettes. Cependant nous avons, de cette force, une dépendance bénéfique. Elle ne nous rend pas esclaves mais, au contraire, elle fonde notre liberté.

Cela peut paraître assez contradictoire, mais en observant ceux qui ont su se laisser conduire docilement et intelligemment par ce courant de l'Esprit, il semble qu'ils aient utilisé leur liberté pour se placer en plein vent, voiles ou ailes déployées, comme le font les voiliers ou les goélands. Alors, se sentant conduits, leur "ego" avec ses désirs s'amenuise, pour laisser la place au souffle à l'oeuvre dans l'univers. Il agit en chacun et en tous. mais avec discrétion, tellement qu'on pourrait ne pas soupçonner sa présence.

Cf: http://www.spcm.org/journal/spip.php?article181

Einstein aurait dit: "Le hasard, c'est le chemin que prend Dieu pour voyager incognito !" Cela reviendrait-il à dire que le hasard n'existe pas vraiment ? Le hasard ferait déjà partie d'un courant "incognito" qui nous pousse vers un but, de nous inconnu et invisible ? Nous aurions alors à revoir nos notions de "chance" ou de "malchance".

Je n'essaierai pas de démêler ce mystérieux comportement, mais dans nos vies nous avons eu de ces "hasards", de ces concours de circonstances qui nous ont entraînés en différentes orientations. Le Maître souffleur devait être là, "incognito" (1). Une telle plénitude, et le bonheur qui va avec, ne devrait pas nous échapper.

(1) "Il se cache au sein des ténèbres, et dans ses replis se dérobe" Ps.17 (18), 12

jeudi 10 janvier 2008

Du périssable à l'éternel !

Hier, en entrant dans mon garage, je me suis senti entouré de toutes sortes d'objets inutiles. La plupart étaient déposés là, en attendant, sur un sol de ciment craquelé, sale et humide, couvert de glace ou de neige noircie, tombée des roues de ma voiture. Je ne trouvais pas cela très beau.

Me vint alors à l'esprit que je ne devais pas me laisser impressionner par cette relative laideur. Autour de moi, il y a de la beauté. Ma mémoire en garde fidèlement le souvenir: paysages, couchers de soleil, rivières, fleurs, oiseaux, etc. Dans ce garage, si peu propice à la méditation, j'aperçus nos deux kayaks appuyés au mur. Ils évoquent tant de plaisirs et font remonter de ma mémoire, par leur seule présence, leur glissement silencieux sur nos lacs, si nombreux au Québec, dans un décor paradisiaque, spécialement dans le Parc de la Mauricie proche de Trois-Rivières: le lac Wapizagonque, le lac du fou, et bien d'autres, parcourus avec ces simples coques flottantes.

(http://www.pc.gc.ca/pn-np/qc/mauricie/)

Je ressentis cependant que toutes ces créatures, aussi belles soient-elles, passent. Comme "passent les roses", et moi avec elles, et nous tous ! Mais cela ne devrait pas être triste: c'est le moyen de rejoindre ce qui ne passe pas ! Au-delà du temps et de notre espace, il y a l'éternel, le "lieu" (comment dire autrement ?) où la Beauté demeure sans fin. Toutes les beautés évoquées en ce monde, n'en sont qu'une minuscule participation.

Là, dans ce monde d'en-haut, sont aussi des créatures supérieures, de nature différente de la mienne. Des créatures spirituelles. Souvent, on les appelle "Anges" ! Pourquoi pas ? Puisque moi je suis homme, pourquoi n'y aurait-il pas aussi ces purs esprits ? Le contraire pourrait bien se dire, mais je préfère cette alternative. Tout comme les végétaux et les animaux ignorent totalement ce que je sais, moi aussi je me sens ignorant de ce que ces créatures célestes savent . Mais, d'une certaine manière, la communication n'est pas totalement impossible. Et je sais un peu, parce qu'ils savent ! Comme le bébé sait, parce que sa mère sait.

Dans ce monde des objets et des êtres vivants, je constate que, du périssable à l'éternel, il y a une hiérarchie. Elle est fondée sur la qualité de l'être, et non sur des grades ou des pouvoirs attribués par les hommes, comme dans une hiérarchie militaire ou cléricale où, quand on enlève à quelqu'un son uniforme ou sa soutane, il se retrouve au pied de l'échelle, nu comme tout le monde !

Je sens aussi dans cet univers, des êtres qui me ressemblent, mais qui, ayant terminé leur séjour sur la terre sont déjà, peut-être, passés dans un Éden : mon père, ma mère, et tant d'autres ...des milliards ! Je ne peux penser qu'ils soient ailleurs. Où seraient-ils ? C'est là qu'ils m'attendent, en sachant, quelle que soit la durée, que ce ne sera pas long. Moi aussi, j'attends, sûr que cette attente aura une fin. Rien de plus sûr !

Alors attention ! Je ne dois pas trop me laisser impressionner par la laideur de mon garage. Ni par celle des choses, des attitudes, des actions ou des intentions. Tout cela, comme les émotions (1) et tout le reste, passe !

(1) Cf. sur ce blogue: "Que faire avec nos émotions ?", au 11 février 2007

mercredi 2 janvier 2008

Acts of God ?

"Nous prêtons à Dieu un comportement analogue à nos conduites humaines" dit un auteur. Quand nous voulons parler de Dieu nous l'enfermons dans nos mots compréhensibles, et il se trouve qu'ainsi c'est plutôt nos façons de voir que nous projetons sur lui. Le silence ne serait-il pas préférable ? Il doit bien y avoir une manière de l'approcher, mais avant il faut peut-être essayer de dire tout ce qu'on peut en dire. Un théologien célèbre, Karl Rahner, disait à peu près ceci : "On ne peut se taire sur Dieu, qu'après en avoir parlé..." Ainsi on est conduit à une connaissance silencieuse plus fructueuse. Je ne me tairai donc pas tout de suite !

J'ai lu qu'aux États-Unis les compagnies d'assurances refusent d'indemniser les pertes dues aux "Acts of God" (actes de Dieu), c'est-à-dire les catastrophes naturelles. J'ai trouvé cette dénomination un peu amusante, parce qu'elle reflète une compréhension simplifiée de l'origine des séismes. Dieu est directement accusé d'être l'auteur des caprices dévastateurs de la nature, et des souffrances qui s'ensuivent.

L' accusation se retrouve un peu partout. Ce qui revient à dire: si j'étais Dieu, je ne ferais pas comme ça ! Évidemment, je supprimerais les catastrophes naturelles et tout le mal sur la terre: les maladies, l'injustice, les crimes, etc. Autrement dit, je serais bien meilleur que lui, qui pourtant nous est présenté dans l'Écriture sainte comme étant l'Amour. Le "Tout-Puissant" est-il alors impuissant ? Il y a bien des chances que je ne comprenne pas cette toute puissance. Cette incompréhension me sera probablement pardonnée car, avouons-le, ce n'est pas chose simple !
Si je me pose la question: pourquoi agit-il ainsi ? J'entre alors en discutions stériles avec celui que j'appelle Dieu, comme si je devais le convaincre de son erreur et le faire changer d'idée. C'est le pot qui argumente avec le potier ! (Cf. le dernier texte du 27 décembre).

S'il m'est difficile de pénétrer la pensée divine, je peux voir cependant que, dans le Christ, Dieu s'est manifesté dans la "faiblesse" et non dans la toute puissance telle que nous la comprenons. Dieu a pris notre nature humaine pour, avec nous, la relever et la guérir; et ainsi vaincre la souffrance et la mort à travers le temps et l'espace. Guérir aussi tout le cosmos qui attend sa libération. Pour ce faire, il est passé à travers tout ce que nous avons à traverser. Quant à nous, nous avons à lutter de notre mieux contre toutes les formes du mal, mais pas n'importe comment ! Pas avec la guerre préventive ou la violence. Pour mieux comprendre, peut-être faut-il simplement nous glisser dans le Mystère. Devant la transcendance du Potier, le pot d'argile atteint ses limites.

Dieu ne veut pas la souffrance, ni le mal. On le voit dans l'Écriture. Tout comme il ne veut pas la mort, ni ce monde tel qu'il est. Le monde est "dans les souffrances de l'enfantement" et dans l'attente de sa transformation. La confiance va suppléer à la compréhension. N'est-ce pas mieux que la révolte ou le désespoir ?