dimanche 31 août 2008

Héron

Nos recherches de repos sont souvent fatiguantes. Y a-t-il donc un moyen de trouver une vraie détente ? Pouvons-nous dépasser la face visible des choses pour se reposer dans ce qui est au-delà de la routine et du déjà vu ? Un héron m'en a donné l'occasion ces jours-ci. Grâce à lui, j'ai pu un peu m'élever, modestement, jusqu'à notre source commune, celle du héron et la mienne. Et c'est reposant !

Avec mon épouse nous étions en kayak sur un grand lac du parc de la Mauricie, le lac Wapizagongue. Un magnifique héron se pose dans les marécages, pas loin de nous. Habituellement assez farouche, il est plutôt difficile d'approche. Ce jour là, ce ne fut pas le cas. Le vent nous poussait tranquillement en sa direction, sans que nous ayons à pagayer. Sans avoir l'air étonné, immobile sur ses hautes pattes, son long cou étiré, il semblait nous attendre, nous regardant venir en silence. Il esquisse quelques pas mesurés. Ses grands yeux, tout en nous regardant, observent tout ce qui grouille autour de lui. C'est l'heure du repas. Nous nous sentions comme ses invités, un peu adoptés. On pouvait admirer son habileté à piquer sa nourriture dans le marécage qui l'entourait, comme dans un immense plat orné de plantes aquatiques. Bien que n'ayant aucune envie de partager sa table, nous avons pu quand même partager en silence, une autre nourriture: contempler "l'essence invisible du héron", celle qu'il réalise concrètement devant nous et que l'on retrouve chez tous ses congénères, si l'on sait remonter au-delà des pattes, du bec et des plumes.

Comme nous les humains, le héron a aussi une âme, puisqu'il est "animé" et bien vivant. Mais, évidemment son âme est bien différente de la nôtre bien que, chez lui comme chez nous, elle lui donne l'être et le mouvement. Contrairement aux humains le héron, comme tout animal, est mû seulement par ses instincts. Ce qui n'est pas si mal. C'est une sorte d'intelligence qui le guide infailliblement (ce qui n'est pas toujours le cas pour nous !) Serait-il supérieur à nous, à cause de cela ? D'une certaine façon, oui. Mais d'une autre, non. Car il n'a pas le pouvoir d'aimer, et ne jouit pas de liberté autre que celle du mouvement. tout s'accomplit chez lui, parce qu'il est programmé comme ça ! Voilà pourquoi il ne sait pas se tromper ! Nous, nous avons ce privilège et savons l'utiliser ! C'est que notre âme humaine est spirituelle, capable de choix, d'amour et d'erreurs. Énorme et essentielle différence ! Ce qui, selon notre point de vue qui aime les classements et les hiérarchies, nous élèverait d'un cran au-dessus de lui.

Mais je ne peux pas reprocher à mon ami le héron d'être ce qu'il est. Comme je ne peux pas reprocher à la violette de n'être qu'une violette. Grâce à son "infériorité", il est sans orgueil et sans haine. Quelle beauté qu'il ne refléterait peut-être pas s'il était libre comme nous. Au dessus du héron et de l'être humain, il y a encore des niveaux plus élevés. Mais peu importe la hiérarchie. Pour que tout marche bien et que le Créateur soit loué, il suffit que chacun soit à sa place et se réjouisse (si nous sommes doués de conscience ) de ce que les autres ont et que nous n'avons pas.
Quelle repos de pouvoir ainsi contempler un simple héron qui ne sait pas être autre chose que ce qu'il est !

samedi 23 août 2008

Échec ou réussite ?

"Nous avons le choix de faire de notre passé un échec irréparable, ou bien une réussite de première grandeur ... Transfigurer nos actes manqués en pur espace d'innocence et de beauté". Que signifient ces paroles, prises au vol dans une méditation d'Y. Girard, sur les ondes de radio Ville-Marie ? J'essaie de les comprendre.

Y a-t-il vraiment un choix entre échec ou réussite ? Qui choisirait l'échec ? L'hésitation ne se situe sans doute pas à ce niveau. Si nous considérons notre passé, nous voyons l'influence de nos parents, de notre éducation dans un milieu non choisi, nos "choix" imposés, ou impulsifs, irréfléchis, souvent avec la meilleure intention du monde. Tant de choses qui justifieraient peut-être des échecs, des ratées, des actes à reprendre si nous avions à les refaire. Mais voilà, toutes ces cogitations ne semblent pas très réalistes. Nous avons, heureusement, rien à refaire, mais plutôt à aller de l'avant avec notre passé et notre propre réalité. Nous sommes ce que nous sommes, et nous n'avons pas à le reprocher à d'autres, ni à notre milieu. Ce qui a pu nous influencer peut nous aider à comprendre mais, à partir de là, c'est à nous de faire pour le mieux. Et de le faire avec confiance, sans culpabilité ou sentiment de victime.

J'ai à "transfigurer mes actes manqués" J'ai à en faire une "réussite de première grandeur". J'ai à bannir un échec irréparable. Comment ? Par "la santé de mon coeur". C'est mon coeur sain, ou assaini, qui doit transformer mon entourage et le monde. Peu importe les apparences d'échec ou de réussite.

"Désormais, c'est moins par notre agir que nous pouvons aider le monde à respirer que par la santé de notre coeur ... Notre mal se situe dans la mise en veilleuse de cette puissance de résurrection que nous avons en partage". Interprétons ces expressions (qui peut-être ne parlent pas à tout le monde de la même manière !) comme nous le pouvons et le sentons. Le monde extérieur et notre coeur intérieur, voilà deux éléments étroitement liés et en symbiose. Leur union permet une coopération efficace, et ils deviennent redoutables.

"Lorsqu'une personne à transformé son intérieur, elle transforme aussi les événements extérieurs. Ces deux éléments étant les pôles d'une même et unique réalité". Cela me rappelle l'anecdote orientale du "faiseur de pluie", déjà citée quelque part, je crois, dans les débuts de ce blogue. Elle est rapportée comme historique par K.G. Yung. Mais peu importe, elle illustre assez bien ce qui vient d'être dit. Je la cite de mémoire. Un homme, un sage chinois, avait la réputation de faire pleuvoir en temps de sécheresse. On le convoque et, après s'être retiré dans la solitude pendant quelques jours, la pluie en effet tombe. On lui demande: Comment avez-vous fait ? Réponse: J'ai mis de l'ordre dans mon intérieur (Je traduis: j'ai mis mon coeur en bonne santé !) Et il a plu ! Voilà, à chacun de l'essayer !

Regardons les personnes qui agissent en faveur de la paix: Le Dalai Lama, Gandhi, Charles de Foucault, Martin Luther King, Mère Térésa, etc. Souvent ces personnes le payent de leur vie, mais est-ce par la violence de leur part qu'elles ont gagné leur bataille ? Non ! C'est par "la santé de leur coeur", par leur intérieur transfiguré, par "la puissance de résurrection qui les habitait". Si nos dirigeants pouvaient s'en inspirer ! Quant à nous, qu'est-ce qui nous en empêche ?

vendredi 15 août 2008

Miroir de Beauté

Si je contemple mon chanteur, ou mon athlète préféré, si j'en fais mon idole, j'aurai tendance à lui ressembler, à m'identifier à lui, au point d'aimer et d'imiter ses plus graves défauts; ou ses plus belles qualités ... De même pour l'admiration que l'on porte aux athlétes des jeux olympiques. Si mon préféré remporte une médaille d'or, c'est un peu moi qui, par identification, la remporte.

Nous pouvons alors mieux comprendre ce que, à un autre niveau, un sage dit: "Chacun de nous a besoin de se voir transfiguré dans la beauté d'un seul être parfaitement accompli, pour devenir parfaitement lui-même ...C'est l'unique chemin qui nous permet d'atteindre jusqu'à l'essentiel"(1) On devient ce que l'on contemple, disent les orientaux. Donc, si je contemple le 'diable' avec admiration, je ne deviendrai pas un fils du Royaume de Dieu ...

La nature humaine est ainsi faite. Ce n'est sans doute pas sans raison ! Au plan spirituel nous avons aussi des modèles, des identifications bénéfiques qui se font par contemplation dans la foi. La grandeur et la beauté divine, dans le christianisme, sont rendues accessibles à nos sens. Dieu s'est fait homme, il a pris chair dans le sein d'une femme. Elle devient ainsi objet de notre contemplation, et cause de notre "transfiguration".

Certains pensent, bien à tort, que les chrétiens adorent Marie. Pas du tout ! Marie n'est pas une déesse. On ne l'admire pas non plus pour ses talents humains de "diva", comme on le fait si facilement pour les grandes cantatrices. Bien au contraire, elle est une femme parmi les femmes de la terre, mais "bénie parmi toutes les femmes", parce que sans tache, "Immaculée". Voilà pourquoi nous la contemplons. Comme nous contemplons un coucher de soleil; ce qui nous apaise et nous transforme. Marie, Mère du Christ, est donc cet être "parfaitement accompli", plus que ne peuvent l'être les athlètes sur le plan physique. Je peux, non pas l'adorer, mais la contempler dans sa beauté. Ce qui me permet de "devenir parfaitement moi-même".

K. G. Yung, ce grand psychanalyste, et savant spirituel, parlait de notre "ombre" lorsqu'il voulait désigner cette part de nous-même qu'on ne veut pas voir, qu'on n'aime pas et que nous refoulons dans les profondeurs de notre inconscient. La contemplation de cette icône de beauté qu'est Marie, nous permet de mieux gérer notre ombre, de l'accepter et de l'illuminer. On pourrait dire la même chose au sujet de l'ombre collective de tout un peuple. Quand cette ombre refoulée ressort, elle est capable de faire bien du grabuge !

Au sujet de Marie dans le christianisme, je dirais, à la suite d'Albert Camus (qui ne pensait sans doute pas à Marie !): "L'honnêteté consiste à juger une doctrine par ses sommets, non par ses sous-produits". (2)

(1) Yves Girard, trappiste. Entendu sur les ondes de Ville-Marie.
(2) Cité par Jean-Claude Guillebaud dans 'La force de conviction' page 21

dimanche 10 août 2008

Malheureux au paradis

"L'enfer, c'est ne pas être heureux au paradis" (1). Voilà une définition qui m'est plutôt sympathique.

L'amour et la liberté rendraient nécessaire, au moins théoriquement, l'existence d'un enfer, dit-on (2). Mais est-ce vrai que cette menace, pour les gens de nos générations, peut avoir un effet persuasif et détourner du mal ? Quel effet la peur du châtiment peut-elle avoir ? C'est du dressage de fauves ! La pédagogie de la peur est-elle capable, au plan spirituel, comme dans l'éducation de nos enfants, de susciter l'amour ? On ne suscite pas l'amour avec des menaces.

À l'inverse, est-ce vrai que la promesse d'un paradis, incite à faire le bien ? En a-t-on vraiment besoin pour bien agir ? Ne devons-nous pas dépasser cet attrait de la récompense ? Il est vrai qu'on voit des kamikazes qui, pour aller au paradis, se font sauter en tuant des centaines d'innocents. Mais ce n'est pas de ce "bien" là qu'il s'agit dans le monde de l'amour.

Si j'essaie de comprendre le coeur de Dieu, tel que la littérature spirituelle et la lecture des livres saints me l'apprennent, je crois pouvoir dire que Dieu aimerait qu'on n'évite pas le mal par peur du châtiment, et qu'on ne s'oriente pas vers le bien par attrait du paradis. Père, il veut nous faire partager son bonheur par pure gratuité. Il ne s'achète pas. Notre agir façonne et dispose nos coeurs à jouir de son bonheur, à être heureux au paradis. Par contre, le désir du mal nous rend incapables "d'être heureux au paradis", comme le dit si bien notre définition. Cela devrait nous suffire tant à éviter le mal, qu'à nous orienter vers le bien. Dépassons la pédagogie de "la carotte et du bâton" !

Il y a aussi, malheureusement, un "enfer" sur terre. Nos journaux le décrivent. Beaucoup travaillent, chacun à sa façon, à le supprimer ou à l'atténuer. En Chine, au début des Jeux Olympiques, "Avaaz org" nous avertit: "Le gouvernement chinois n'a toujours pas entamé de dialogue avec le Dalai Lama, ou révisé sa position avec la Birmanie, le Darfour, etc. Que faire ? La réponse vient du Dalai Lama lui-même, par un geste sans équivoque qui reflète l'amitié et l'esprit olympique: une poignée de main !" Et l'organisme nous procure l'occasion de donner cette poignée de main sur Internet. Cliquez ci-dessous:

http://www.avaaz.org/fr/handshake/?cl=113372982&v=2000

(1) Louis Pauwels, dans "Un jour je me souviendrai de tout" p.632
(2) Cf. François Varillon dans "Joie de croire, Joie de vivre":
"Si quelqu'un dit que l'enfer existe, il se flatte d'avoir un renseignement que les chrétiens n'ont absolument pas. L'enfer n'existe pas comme existe au centre de la Guadeloupe un volcan nommé la Soufrière ... Il n'y a un enfer que s'il y a des damnés ... or nous ne savons pas s'il y a, ou s'il y aura des damnés ... nous ne pouvons pas, ne pas espérer qu'il n'y en aura pas". p.197

dimanche 3 août 2008

Bienheureuse imperfection

La vertu ! On ne prononce pas ce mot sans risque. À moins que ce ne soit pour s'en moquer. Il fait tellement vieux jeux ! Mais parlons-en sérieusement. De quoi s'agit-il, au juste ? D'une force. Une force intérieure qui nous dispose à agir dans le sens du bien. Une sorte de qualité durable, une "habitude". Une disposition à accomplir des actes bons, considérés comme difficiles. La vertu facilite la vie, en fortifiant la volonté à bien agir. L'intelligence capable de discerner le bien ne suffit pas, s'il manque la volonté pour l'accomplir.

Être vertueux sur tous les points, voilà l'homme parfait. Il ne court pas les rues ! Nous nous trouvons toujours à lutter contre nos tendances, nos déficiences, découragements, etc. Et souvent en vain. Ou bien, je ne lutte plus du tout. Je me laisse conduire par mes instincts et ... la vie est belle ! Mais pas si belle que ça ! Car les vertus nous délivrent de bien des excès et donc de bien des souffrances. C'est ce que voulait dire, au IV siècle avant J.C, Aristote, disciple du grand Platon, lorsqu'il affirmait que la vertu a un rôle modérateur. "Elle tient le juste milieu" disait-il. Par exemple, elle va tempérer celui qui a une nature colérique, ou tirer de sa paresse celui qui ne sait pas se lever à l'heure le matin.

Mais se savoir vertueux, c'est fort agréable à notre ego. Et voilà que la vertu risque de tourner au vice ! La nature humaine est compliquée. Comment en tirer avantage ? En s'amusant de ses faiblesses: Savoir "se rire au nez !" Comme si j'étais un autre. Car c'est assez facile de se moquer des autres. Il faut être "vertueux" pour s'en abstenir... Donc jouer à l'équilibriste: s'efforcer d'être un peu vertueux et, en même temps, garder conscience de ne pas l'être. Et surtout, en être heureux ! Avoir le sentiment très fort que Dieu nous aime comme ça ! C'est ainsi que les parents (les bons !) aiment leurs enfants. D'ailleurs, l'évangile nous montre bien que Dieu "déteste" les artisans de leur perfection. Se rappeler en luc 18, 9-14 "Le Pharisien et le Publicain". Comme les charismes, il y a des vertus qui sont données d'en-haut. Les bénéficiaires, connaissant leur origine, ont moins tendance à s'en glorifier.

Alors, "bienheureuse imperfection", bienheureux ceux qui ne possèdent pas ces vertus que nous venons de vanter. Il faut savoir corriger une vérité, par la vérité opposée. C'est ce que certains sages m'ont enseigné. Il faut être intelligent pour dire et croire une chose si contraire à la raison; et pourtant vraie ! Pour marcher "Vers la vérité" il faut savoir concilier les paradoxes, pour aboutir au Mystère. La foi n'est pas adhérer à l'absurde, mais au Mystère. L'un révolte la raison, l'autre pas. Il la dépasse (1) . Que de saintes contradictions ! C'est à méditer...

Pour illustrer les avantages de la faiblesse, et du peu de force (de vertu !), une petite histoire bien connue par ceux qui ont lu Thérèse de Lisieux. En substance, elle disait ingénument: "Je suis comme un petit enfant qui veut monter un escalier sans y réussir. Mais à force de s'essayer, sa mère, ou son père (?) qui le regarde d'en-haut, finit par descendre pour le monter dans ses bras". Elle appelait cela "l'ascenseur divin".

(1) Pensée exprimée par le philosophe et théologien: Frédéric Marlière.