vendredi 24 juillet 2009

Endeavour

C'est tout de même admirable ! Ces jours-ci, la navette Endeavour voyage dans l'espace et des astronautes se rejoignent dans la station spatiale. De là, peut-être, ils repartiront un jour vers d'autres astres. Incroyable réussite de l'intelligence humaine et du travail en équipe !

Mais, malgré ce merveilleux exploit, on peut se demander : pourquoi tout cela ? Que voulons-nous ? Nous sentons-nous trop à l'étroit sur notre planète ? Qu'est-ce qui nous pousse ainsi à en sortir ? Curiosité scientifique ? Désir de conquête ? Quoi d'autre ?

Mêlées à l'admiration, les critiques ne manquent pas dans le peuple. J'entends : tout cet argent dépensé alors que ... Mais je ne suis pas sûr qu'il y aurait moins de pauvres et d'affamés si tous ces milliards avaient été utilisé à des fins humanitaires ! Il semble clair que la cause profonde de la misère soit ailleurs : dans le coeur de l'homme; et je ne peux exclure le mien !

Mais, après cette parenthèse, voyons les choses autrement. On ne peut freiner chez l'homme le désir naturel du progrès. Désir d'expansion, de découverte, et peut-être d'un monde nouveau où régnerait la paix et la fraternité, etc. Je ne sais si cette motivation est celle des chercheurs de la Nasa. Même sans références religieuses, nous avons tous, plus ou moins, une sorte de nostalgie d'un bonheur qui aurait déjà existé, d'un "paradis perdu". Comment s'est-il perdu et comment le retrouver ? En dehors de la révélation biblique (1), je ne vois pas de réponse.

Certains cherchent dans le progrès une solution à notre emprisonnement en ce monde. Il ne serait pas raisonnable de dénigrer le progrès en lui-même. Il peut évidemment améliorer nos conditions de vie. Encore faut-il qu'il soit orienté dans le bon sens. Mais jamais il ne pourra nous libérer des limites du temps et de l'espace. La solution est à un autre niveau.

Cette vie, malgré tout son attrait et la beauté de la création, est ressentie comme une vie "d'exil". D'où l'idée d'un "paradis perdu". Nous cherchons donc à "retrouver" notre patrie véritable, un état stable, hors temps et espace où régnerait la fraternité universelle sans faille.

Il est d'ailleurs touchant de voir les astronautes, en arrivant dans la station spatiale, s'embrasser comme de vieux amis retrouvés, alors qu'ils étaient de nationalités différentes, au dessus de tous les conflits politiques. Mais voilà, dans ces "retrouvailles"extra-terrestres, le temps est encore là. Ce fameux temps, cause de la finitude, du vieillissement des hommes et des choses. Nous en sommes prisonniers. Le fait de s'échapper de notre planète et des lois de la pesanteur ne nous libère ni du temps, ni de l'espace.

Il faut trouver autre chose que le progrès tel que nous le concevons. Croyants ou non, nous savons qu'une seule chose peut nous libérer du temps : la mort. Ceux et celles qui sont passés par là ne sont jamais revenus. Nous n'en reviendrons pas non plus. La mort est la porte et le remède pour nous conduire hors espace-temps. À moins que l'on préfère voir en elle le passage vers le néant ! Quel que soit notre choix, elle est un passage obligé. Vivre hors espace-temps, pour la foi chrétienne, cela s'appelle: l'éternité.

Le progrès, spatial ou autre, ne nous conduit pas à l'éternité. Mais il peut être habité par l'espérance de l'éternité. Dans ce cas, la mort nous oriente vers la bonne porte et le bon remède. Si le progrès améliore incontestablement notre condition terrestre, et tant mieux, il ne peut cependant pas se confondre avec le "paradis retrouvé", notre cité définitive.

(1) Pour ceux qui aiment la théologie et la métaphysique, voici un document qui peut aider à comprendre le "paradis perdu":
http://biblio.domuni.org/articlestheo/pecheor/po000004.htm

jeudi 16 juillet 2009

Nul n'est une île

"Nul n'est une île". C'est le titre d'un livre de Thomas Merton. Nous ne sommes pas isolés, mais des personnes en relation. J'aime revenir sur ce thème. Cependant, bien que reliés, nous vivons dans une certaine autonomie, celle de nos personnes. Elles ne peuvent se confondre. Donc, comme les îles, nous sommes aussi séparés; mais, entre chaque île, des liens sous-marins invisibles nous relient.

Mystérieuse solidarité des personnes. Ces liens secrets, éléments essentiels de notre être, font la communauté humaine. Ils sont la cause de souffrances et de joies. Les deux sont inséparables. Les liens qui nous font souffrir, sont aussi ceux qui nous apportent de la joie. Quelquefois, ces liens s'amenuisent et tendent à disaparaître. Alors, la personne s'étiole; elle devient insensible aux îles voisines. Serait-ce cela une mort spirituelle ?

Ces liens, tant ceux qui nous unissent à notre Source, que ceux qui nous unissent entre nous, sont de nature spirituelle. Ils ne sont guère différents. Ce qui fait que l'interdépendance qui nous donne la peine et la joie, ne peut exister que par notre dépendance avec le Créateur. Mais comment supprimer les liens qui nous donnent la souffrance, sans enlever en même temps, ceux qui nous donnent la joie ? Comme pour le "bon grain et l'ivraie"de l'évangile.

Faisant ainsi partie d'un même tout, il est évident que nous nous influençons les uns les autres. Influence de l'exemple, des paroles, des pensées, etc. Et en bien, comme en mal ! Les saints, eux, sont des gens de grande influence. Mais, ils ont trouvé leur force et leur efficacité ailleurs qu'en eux-mêmes. Je veux dire ailleurs qu'en leur moi volontaire et égoïste. Voilà pourquoi, ils savent qu'ils ne peuvent s'en glorifier.

Tels ces voiliers en plein vent (vent = Esprit ) ils sont poussés par une force étrangère aux rames et au moteur. Les saints savent qu'ils sont mûs par un autre. C'est de là qu'ils tirent leur humilité. Ils n'y sont pour rien. Ou presque ! Car la prière tisse les liens secrets qu'il a fallu maintenir forts. Tout comme les matelots ont su hisser les voiles. Mais c'est le vent qui les pousse.

Dans un tel fourmillement d'îles vivantes, il arrive que nous soyons bienfaiteurs, victimes, bourreaux, ou simples spectateurs du bien ou du mal. Difficile de juger ou de condamner. L'évangile nous avertit : "Ne jugez pas !" C'est à notre avantage, d'ailleurs, car si vous faites ainsi : "vous ne serez pas jugés !" Nous ne sommes pas meilleurs que les autres, mais nous ne serons pas jugés, ni condamnés. Seulement pardonnés. C'est la loi d'en haut !

Les juges de nos tribunaux ont pour fonction de juger les actes, non les personnes. Et ils sanctionnent d'après leur code. Quant à nous, mauvais évaluateurs des intentions, l'évangile nous fait encore comprendre que, comme pour Zachée, la femme adultère, la Samaritaine, l'enfant prodigue, le bon larron, et tant d'autres, "là, où nous voyons des fautes à condamner, Dieu voit des créatures à secourir ..."

mercredi 8 juillet 2009

Bien voir

"On ne peut bien voir qu'à condition de ne pas chercher son intérêt dans ce qu'on voit" (Christian Bobin)

Il y a comme deux regards en moi. Avec quel oeil je regarde ? Celui désintéressé qui ne cherche qu'à voir la vérité ? Ou bien, celui du "moi" qui cherche toujours son intérêt ? Le premier regard est objectif; le second, non .

Bien sûr, mon propos est toujours de "bien voir", mais je me sais encore habité par cet indésirable "moi", appelé aussi "intrus". (Cf. sur ce blogue au 5 avril 09). Je sais que dans mon évolution normale, l'intrus est appelé à disparaître. Mais, en attendant, il est encore là. Il cherchera inévitablement son intérêt. Comment alors bien voir tout en me sachant taré par lui ? Heureusement qu' avec un peu de perspicacité, sa présence est assez facile à déceler.

Il est entré dans ma personne je ne sais comment, et s'est développé comme un parasite. D'où vient-il ? Et comment le déloger ? Selon la méthode bouddhiste, je ne chercherai pas d'abord à connaître son origine, mais plutôt quoi faire avec lui. Peu importe d'où vient la flèche qui me blesse, je dois d'abord la retirer de ma blessure !

Une stratégie de combat contre l'ennemi pourrait bien être celle-ci : dans la mesure du possible, placer la partie de mon être que j'estime la plus éclairée, c'est-à-dire ma personne, (et non mon personnage) au dessus de ce redoutable "moi". Le regarder et l'accepter comme l'inévitable hôte indésirable avec qui j'aurai à composer. Je n'y peut rien, il est là ! Donc dialoguer avec lui, écouter en souriant ses fausses vérités, sans m'en étonner.

Sa présence peut d'ailleurs m'être agréable. Flatteur, sa première réaction sera sans doute: Eh, tu es bon ! Tu es capable de te tenir au-dessus de ton moi. Formidable ! tu n'es vraiment pas comme les autres ! (1) Là, c'est lui qui parle en se déguisant; il a un masque ! Je ne dois pas avoir l'air de le déranger, de le brusquer. Il risque de se venger ! Plutôt le prendre par la douceur. Je vais lui parler comme à un compagnon de route valable, mais appelé à disparaître définitivement du décor ... Bien sûr, il n'aime pas ça ! Il va se cacher pour mieux réapparaître. A ce niveau, je tourne en rond, incapable d'aller plus loin. Comment donc m'en sortir ?

Selon mon oeil (le bon, j'espère !), une chose est certaine : seul un appui solide, autre que le moi, peut m'élever au-dessus de l'ennemi. Dieu peut être ce seul point d'appui. Il est d'ailleurs là pour ça et je ne peux me passer de son aide. Le "moi" est orgueil. Je ne peux pas le lui reprocher; c'est sa nature ! S'il renonce à l'orgueil, il meurt sur le coup, et j'en suis débarrassé. Les orientaux appelle cela la libération. Mais d'abord, pour qu'il soit débusqué, je dois le reconnaître, et accepter qu'il se débatte "comme un diable dans un bénitier"

À ce sujet, que nous dit le Christ ? : "Qui veut sauver sa vie (son petit moi) la perdra, mais celui qui perd sa vie, à cause de moi la trouvera (la vraie vie)" (2) Nous retrouvons cette vérité, dite sous une autre forme, dans les écrits de sagesse orientale. Mais la source est la même. "Il faut que l'amour finisse par tuer le moi. Sinon, c'est le moi qui finit par tuer l'amour" (3) C'est de la bonne psychologie !

Le même auteur (3) nous dit comment seul l'amour peut tuer le moi : "L'orgueilleux humilié ne devient pas humble; son orgueil devient sournois et venimeux. Ce qui nourrit en moi l'humilité, ce n'est pas l'échec, mais la réussite; et la réussite dans le domaine le plus haut et le plus gratuit : celui de l'amour. Mon moi s'efface quand mon âme se dilate, envahie par un bonheur immérité et inespéré"

Les orientaux diront plutôt, au lieu de "s'efface" : le moi s'érode ! Il disparaît en s'amenuisant. Un moi qui disparaît dans la société que nous formons, peut paraître une victoire bien minime. Mais c'est un gain important, un pas appréciable de la communauté humaine "vers la Vérité". Progrès qui permet une meilleure entente entre nous, et sans doute une paix plus stable. Monsieur Barack Obama semble bien avoir pris cette direction. Bravo !

(1) Se rappeler le Pharisien et le Publicain : Luc 18, 9-14; (2) Matthieu 16, 25; (3) G. Thibon.

mercredi 1 juillet 2009

Un tremplin vers l'universel

"La réduction de l'univers à un seul être, et la dilatation d'un seul être jusqu'à Dieu, voilà l'amour" (Victor Hugo)

Selon l'intuition du poète, l'universel et le particulier ne semblent pas s'opposer. L'amour d'un seul être peut conduire à l' amour de tous les êtres. La simple raison nous en dicte la condition nécessaire : n'être pas fermé sur lui-même. Car alors, l'être aimé se transforme en absolu, en idole; et l'amour se ferme aussi à la transcendance, à Dieu. Il y a donc un risque dans l'amour humain. Mais voilà, ce risque est aussi une chance et un tremplin.

Certains penseurs ont même osé dire que l'amour humain était un piège. Je n'aime pas trop la formule, mais elle devient acceptable quand on ajoute : un piège divin; un piège tendu par Dieu. Comprenons bien : Dieu, qui est Amour universel ne nous tend pas un traquenard, comme un méchant chasseur ! Les mots aussi sont un piège ...

"Les prudents évitent ce piège mais les sages s'y laissent prendre, car il faut cette folie pour atteindre la vraie sagesse. Platon approuve ce délire de l'amour sensible, et la Rochefoucault reconnaît que celui qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit" (1)

Je ne pense pas qu'il faille condamner les "prudents" ou applaudir les "sages". Le choix pourrait bien être une affaire de vocation. On constate souvent que l'amour humain commence par un attachement irraisonné : "Je n'aime que toi ". Mais cette exclusivité est bien difficile à concilier avec l'amour universel que Dieu nous demande, jusqu'à aimer nos ennemis. Bien sûr, cet "impossible" amour universel nous met la barre très haute, et ne paraît pas très sentimental, sinon un peu abstrait.

Que faudrait-il y ajouter pour qu'il soit plus acceptable par notre "moi " plutôt égoïste ? Beaudelaire, cité par Thibon, dira : "Si l'idée de la vertu et de l'amour universel n'est pas mêlée à tous nos plaisirs, tous nos plaisirs deviendront torture et remords" Il faut les talents d'un Beaudelaire pour dire cela en une phrase.

Il s'agit bien de joindre deux extrêmes et de les vivre ensemble. Dieu seul est universel, tandis que la créature aimée est particulière, limitée. L'aimer séparément de l'universel la rend encore plus "bornée et opaque". Cette amour limité peut conduire les amants à une impasse, à rendre inaccessible la transcendance à la fois désirée et perdue. Expérience spirituelle douloureuse qui met face à une désillusion à laquelle se bute souvent l'amour humain.

Mais heureusement, l'apparente impasse n'est pas sans solution. Si l' amour humain aspire, plus ou moins consciemment, à un dépassement des limites, il ne sera plus un piège mais un tremplin. C'est probablement dans ce sens qu'il faut comprendre que ce piège est "divin". Peut-on mettre cela en relation avec ces paroles du Christ: " Je suis venu allumer un feu sur la terre" ?

Le dépassement de nos limites cependant doit être compris, non pas comme un effort du moi sur lui-même. Il en est bien incapable. Mais plutôt comme une ouverture à la force qui peut nous sauver. "S'abandonner tout entier au feu de l'amour , se laisser consumer par lui jusqu'au point où, ne trouvant plus d'impuretés pour alimenter la fumée, cette flamme se transforme toute en lumière ... C'est l'unique feu sans fumée et c'est en lui que doivent se transmuer toutes nos ardeurs". (1)

(1) G. Thibon