samedi 26 septembre 2009

Le Dieu de l'impossible

Dans l'évangile de St. Matthieu (1) nous voyons un jeune homme, inquiet au sujet de la vie éternelle, demander à Jésus ce qu'il faut faire pour la posséder. Tout naturellement Jésus lui répond : « observe les commandements : ne tue pas, ne vole pas, ne commets pas d'adultère, honore ton père et ta mère, aime ton prochain, etc. » Et le jeune homme de répliquer : « mais, tout cela je l'ai fait ! Que me manque-t-il encore ? » Eh bien, lui dit Jésus, « si tu veux être parfait, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et suis-moi». Mais lui, comme il était riche, se sentant dépassé par les exigences, s'en alla tout triste.

Ce n'est pas fini. On dirait que Jésus s'arrange pour nous rendre les choses impossibles. Comme pour corser la situation, il se tourne vers ses disciples et ajoute: « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux » On a beau dire que ce sont des exagérations propres aux maximes orientales, les disciples sont découragés; ils s'exclament : « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Heureusement, Jésus lance une dernière phrase, plutôt réconfortante : « Pour les hommes c'est impossible, mais pour Dieu, tout est possible ».

Il est évident que nous ne sommes pas tous appelés à vivre de telles exigences : « Si tu veux, va, vends tout ce que tu as ...». Mais tous nous sommes appelés à vivre notre propre forme de perfection, moins abrupte peut-être, mais exigeante quand même : l'amour qui se manifeste dans le partage, l'entraide mutuelle, les efforts de paix, la patience dans les épreuves, etc. Difficultés telles que, parfois, nous prenons conscience que nous sommes dépassés par la situation. Il est bon alors de sentir nos limites, et de se rappeler que « ce qui est impossible aux hommes, est possible à Dieu ».

Combien de fois, en effet, aurons-nous l'occasion de constater, en jetant un regard en arrière, que Dieu a pu ce que nous ne pouvions pas. Encore faut-il ne pas avoir la prétention d'accomplir ce qui ne nous est pas demandé. Il est d'ailleurs curieux de voir comment certaines personnes accomplissent allégrement ce que nous sommes bien incapables de faire. Et inversement !

(1) St. Matthieu 19, 16-26

jeudi 17 septembre 2009

Veiller

Veiller, dans le sens évangélique, c'est ne pas dormir, patienter, espérer, attendre sans savoir quand, sans fixer de date, mais avec la certitude que cela arrivera en son temps.

D'une certaine façon, ce qu'on attend est déjà là, parce que Celui qui me donne est nécessairement présent, lui que me donne l'être et la vie. je peux espérer parce que je possède déjà, dans mon fond caché, ce que j'attends. Au point que Ste Thérèse de Lisieux, avant de mourir et en pleine nuit de la foi, pouvait dire : « Je ne sais pas ce que j'aurai de plus au ciel ...». Elle se plaçait, bien sûr, au seul point de vue de la foi.

Quelle incompréhension de la part de certains incroyants d'affirmer que les croyants espèrent pour fuir leur responsabilité en ce monde en se réfugiant dans l'autre. Leur espérance en quelque chose de meilleur dans l'au-delà serait comme un refuge illusoire, par peur de la dure réalité, ou par peur d'affronter la mort, « comme s'il y avait péché à nourrir notre espérance » (1).

La vigilance dans l'espérance implique de ne pas savoir quand; car le temps importe peu dans ce nouveau registre de la foi où «un jour est comme mille ans». Mais, il nous est bien difficile, nous qui sommes si souvent portés à consulter notre calendrier et notre montre, de sauter dans ce registre hors du temps et de nous y tenir. Voilà pourquoi il nous est répété de «veiller et prier». Sans la prière, l'espérance est longue; nous pouvons nous sentir oubliés, abandonnés. Nous risquons alors le découragement et la tristesse.

Quand quelqu'un de notre entourage quitte ce monde définitivement, notre raison de vivre et notre espérance sont souvent réactivées. Nous pouvons éprouver le besoin de garder un contact nouveau, tout spirituel, avec celui qui n'étant plus là physiquement, nous apparaît encore proche cependant, mais accessible autrement. Puis, nous reprenons une conscience plus forte, qu'un jour, ce sera notre tour.

(1) Yves Girard, moine trappiste.

mercredi 9 septembre 2009

Qui est le meilleur ?

Avez-vous déjà entendu parler de ce couple américain qui aurait élevé deux bébés en même temps, et de la même manière ? L'un étant leur propre enfant, et l'autre un chimpanzé nouveau né. "Au début, écrit-on, le petit singe devançait le petit humain sur toute la ligne, il marchait, se nourrissait, s'orientait beaucoup plus vite et facilement que son 'petit frère'. Mais tout a changé le jour où ce dernier a pu comprendre la parole et l'utiliser. Dès cet instant, comme on dit, il a perdu le chimpanzé dans la brume !"

Alors, qui est le meilleur ? Pour ne pas trop rabaisser les animaux, je vais commencer par en citer une louange. C'est le plus beau témoignage que je n'ai jamais entendu envers nos amis les animaux : " Nous devrions rendre grâce aux animaux pour leur innocence fabuleuse, et leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner" (1).

Voilà qui les place déjà à un haut niveau. Cependant, il reste que, dans l'expérience du couple américain, le petit d'homme, au fur et à mesure qu'il développe ses facultés, est finalement le meilleur dans sa capacité de se perfectionner. L'animal restera loin derrière lui, même s'il le devance au début.

Ce qui ne diminue en rien la louange faite aux animaux. Elle reste vraie; et, à mon avis, il y a une raison à leur "innocence fabuleuse", et à "la douceur de leurs yeux inquiets" qui ne savent pas nous condamner. Je vois ainsi l'animal un peu comme un modèle infaillible de ce que nous devrions être, nous, les parlants. Nous, qui pouvons dévier si vite de notre innocence première de l'enfance. Nous, qui sommes appelés à reconquérir cette "innocence fabuleuse", par la fidélité à la loi divine inscrite en nous, non pas à la façon d'un instinct irrésistible, mais plutôt par une parole secrète à écouter et à mettre en pratique. Nous, qui sommes aussi appelés à poser nos regards sur les autres, "sans jamais les condamner", comme le font si bien les animaux; et comme nous le faisons habituellement si mal !

On pourrait bien penser : nous présenter comme modèle, des animaux seulement animés par leur instinct, quelle déchéance pour l'humain ! C'est vrai qu'ils ne peuvent pas faire autrement que d'être ce qu'ils sont. C'est justement pourquoi ils peuvent être notre modèle. Sur certains points, du moins, si nous ne nous plaçons pas au niveau du mérite. Car, normalement ils ne peuvent pas dévier de ce qui à été programmé en eux. Il n'en ont pas la faculté; mais nous, nous le pouvons, et souvent nous le faisons. C'est une désobéissance à la loi naturelle et divine. Désobéissance qu'on a appelé : péché. C'est quitter l'axe qui nous oriente vers la vérité et notre bonheur. Quelquefois, on a défini le péché : manquer la cible ! J'aime bien cette définition. Alors, encore une fois, qui est le meilleur, l'être humain ou l'animal ?

(1) Christian Bobin.

jeudi 3 septembre 2009

Cloués au milieu

Je ne peux pas toujours saisir la richesse cachée de la poésie de Christian Bobin. Mais, j'ai été frappé par certains rapprochements. Par exemple, lorsqu'il nous met en présence de deux visages : celui du nouveau-né, "pas encore tout à fait dans le monde", et celui d'une vieille femme, "qui n'y est plus complètement". L'un commence, ignorant de ce qui l'attend. Tandis que la vieille femme, le visage buriné par la vie, sait bien des choses que le petit ne sait pas. Cependant, elle aussi est dans une ignorance : celle de la réalité bien mystérieuse qui l'attend. Mais elle y croit, et l'attend fermement.

Puis, l'auteur commente : "Devant la perfection de ces deux présences, je ne comprenais plus pourquoi cette société veut à tout prix que nous restions indéfiniment jeunes, éloignés de ces deux lumières de la naissance et du grand âge, cloués au milieu".

Nous pouvons bien nous demander, nous aussi, pourquoi s'obstiner à vouloir rester indéfiniment jeunes ? La réponse est assez facile : nous sommes faits pour une jeunesse éternelle. Rien de moins ! Cela est inscrit en notre nature. Mais, en fait, ce n'est pas ce que notre nature nous donne en cette vie qui, au cours des ans, nous conduit inexorablement vers le vieillissement.

La question est plus profonde qu'elle n'en a l'air. Pourquoi nous acharner à vouloir rester jeunes, "cloués au milieu", entre enfance et vieillesse ? Pourquoi, une fois rendu à l'apogée de la vie, chercher à résister au courant du fleuve qui nous entraîne tranquillement et imperturbablement vers la fin ? Bien sûr, nos résistances sont bien peu efficaces pour le freiner. C'est la société, paraît-il, qui veut que nous restions indéfiniment jeunes. Mais la société, c'est moi et les autres.

Remarquons une réflexion intéressante de l'auteur, quand il dit : "éloignés de ces deux lumières de la naissance et du grand âge". Tout le monde reconnaît et admire la lumière du nouveau né, son innocence, son regard qui ne sait pas mentir. Lumière qui est déjà un reflet de la définitive lumière à laquelle l'enfant est appelé. Il y aspire déjà, inconsciemment, avant de la rencontrer au terme de sa course dans le temps. Dans vingt, cinquante, cent ans ... Qui sait ?

Le grand âge a aussi sa lumière. La vieillesse acceptée et vécue comme une attente de la vie qui ne s'éteint pas. Vécue aussi comme une action de grâce pour les années passées dans un mélange de peine et de bonheur.

Finalement, c'est l'entre deux dans lequel la "société veut à tout prix que nous restions, éloignés de ces deux lumières, cloués au milieu", qui ne va plus. Pourquoi vouloir à tout prix s'y fixer, et rester indéfiniment jeunes ? Ce n'est pas ce que la vie nous donne puisque, bon gré, mal gré, nous avons à suivre le cours du temps, sans coup de frein, pour prendre enfin la seule porte qui nous libère : la mort physique. Voilà le remède. L'adjectif "physique" n'est pas de trop. Car c'est bien physiquement, biologiquement, que l'on meurt. Drôle de remède ! Car tous les autres remèdes que nous offre la médecine, visent bien le contraire : vivre le plus longtemps et le mieux possible. Et qui les refuse ?

Alors pourquoi vouloir rester indéfiniment entre les deux lumières ? Dans une jeunesse qui n'est pas la vraie ? La vraie ne passe pas; c'est la jeunesse éternelle pour laquelle nous sommes créés. La foi, me semble-t-il, est le moyen spirituel qui nous aide à dépasser la pénombre de l'entre deux.